Autant de questions de la part du chef d’entreprise en phase de réflexion sur sa succession auxquelles le dispositif fiscal « Dutreil –Transmission » peut apporter des réponses.
Adopté dans le cadre de la loi pour l'initiative économique du 1er août 2003, le dispositif « Dutreil-Transmission » est une mesure fiscale qui offre une exonération de droits de succession ou de donation à hauteur de 75% de la valeur de l’entreprise1
Le coût de taxation de la transmission d’une entreprise peut être réduit à environ 5%2sous le dispositif « Dutreil » au lieu de 45%3 sachant que la transmission peut s’opérer par succession mais également par donation et en pleine propriété ou dans le cadre d’un démembrement de propriété (nue-propriété/usufruit).
Un dispositif nécessitant d’être bien entouré
Une bonne connaissance de ce dispositif assez complexe et une bonne anticipation permettront ainsi de transmettre l’entreprise familiale dans des conditions privilégiées.
Mais il faut bien garder à l’esprit qu’il s’agit d’une simple mesure fiscale et que l’essentiel dans la transmission d’entreprise familiale réside dans la capacité des repreneurs, les enfants, a assuré sa pérennité et son développement.
Aussi, nous attirons votre attention sur l’importance de s’entourer de conseils spécialisés (notaires, avocats) dans ce type d’opération qui permet de transmettre son entreprise à un faible coût de taxation afin d’éviter une éventuelle requalification au titre de l’abus de droit de l’article L.64 du LPF (but exclusivement fiscal) ou du « mini » abus de droit de l’article L.64 A du LPF (but principalement fiscal) pour les actes passés à compter du 1er janvier 2020.
L’éligibilité à ce dispositif
Seules les sociétés ayant une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale sont éligibles au dispositif « Dutreil »4. Elles peuvent être détenues directement par le chef d’entreprise ou indirectement via des sociétés interposées (simple ou double niveau d’interposition).
Le bénéfice de ce régime fiscal de faveur est soumis au respect de nombreuses conditions.
Certaines sont à remplir avant la transmission. Le chef d’entreprise souscrit avec d’autres associés de l’entreprise un engagement prévoyant la conservation des titres pour une durée minimum de 2 ans. Cet engagement, appelé engagement collectif de conservation (EEC) doit porter sur un minimum de droits de vote et de droits financiers.
Après la transmission des titres, les bénéficiaires s’engagent eux-mêmes à conserver les titres pendant 4 ans.
Par ailleurs l’un des associés ayant souscrit l’ECC ou l’un des bénéficiaires de la transmission doit exercer une fonction dirigeante pendant la durée de l’engagement collectif et pendant les 3 ans qui suivent la date de la transmission.
Revenons plus en détails sur ces différentes conditions et sur les questions et/ou remarques usuelles, et assez naturelles, des chefs d’entreprise en la matière.
1. Un Engagement Collectif de Conservation (ECC) dit « Pacte Dutreil » doit être conclu pour une durée minimale de deux ans et être en cours au jour de la transmission5.
« J’ai déjà un « Pacte ». Est-il nécessaire d’en signer un second ? ».
Bien souvent, est évoqué ici le « Pacte d’actionnaires » qui encadre un ensemble de conditions dans la gestion de la société (distribution des rémunérations, stratégies, entrées ou sortie du capital …) et les relations entre actionnaires.
Le « Pacte Dutreil » est un outil fiscal de transmission de son entreprise.
Ce sont donc deux instruments juridiques distincts qui ne peuvent figurer dans un seul et même acte.
2. L’ECC doit être pris par le défunt ou le donateur pour lui et ses ayants cause à titre gratuit, seul6 ou avec d’autres associés (personnes physiques ou morales).
Quand un chef d’entreprise dit avoir « fait », cela signifie souvent qu’il a uniquement signé seul ou avec plusieurs actionnaires un ECC portant sur tout ou partie des titres de sa société. Mais, dans ce cas, la transmission de son entreprise n’a pas été effectivement réalisée. Seule une donation des titres figurant dans l’ECC à ses enfants permettra d’obtenir l’exonération de 75% des droits. Ce dispositif assez complexe nécessite de bien s’assurer que toutes ces conditions d’application sont bien réunies et respectées afin d’éviter la déchéance de l’exonération partielle.
3. Lorsqu’il s’agit de titres de sociétés non cotées, l’ECC doit porter tout au long de sa durée sur au moins 17 % des droits financiers et 34 % des droits de vote (et sur au moins 10% des droits financiers et 20 % des droits de vote pour les titres de sociétés cotées).
« J’ai mis 100% des titres de ma société dans un « Pacte Dutreil », je ne pourrais donc plus en vendre moi-même une partie ».
Non, rien n’empêche de ne transmettre par donation qu’une fraction des titres mis dans le « Pacte Dutreil » et de céder librement les titres conservés.
En revanche, pendant la période de l’ECC, les cessions des titres à un tiers à l’ECC ne sont pas possibles sauf cas particuliers.
Notez que les titres ne faisant pas l’objet de l’ECC ne peuvent pas bénéficier de l’avantage fiscal (exonération des 75%) en cas de transmission.
4. Lors de la transmission des titres, chaque donataire, héritier ou légataire souhaitant bénéficier du dispositif d’exonération fiscale « Dutreil » doit prendre un Engagement Individuel de Conservation (EIC) des titres reçus pendant une durée de quatre ans minimum à compter de la fin de l’ECC.
« Parmi mes enfants, un seul est susceptible de reprendre l’entreprise mais il n’aura pas les capitaux suffisants pour racheter la quote-part des titres de ma société qui doit revenir à mes autres enfants ».
L’organisation de la transmission de l’entreprise familiale en présence d’enfants repreneurs et non repreneurs peut s’envisager dans le cadre du dispositif « Dutreil ».
Une donation-partage des titres de société aux enfants à charge de versement d’une soulte par l’enfant repreneur aux enfants non repreneurs peut être accordée avec le bénéfice de l’abattement de 75% sur l’intégralité de la valeur des titres transmis – y compris la soulte – sous réserve du respect des conditions du dispositif « Dutreil » par l’enfant repreneur attributaire de la totalité des titres.
Aussi, pour faciliter le financement de la soulte sans remettre en cause le dispositif « Dutreil », il est possible, sous certaines conditions, d’effectuer un apport des titres transmis à une société (« holding de reprise ») rémunéré en partie par la prise en charge de la soulte (article 787 B f du CGI), celle-ci étant financée par une dette bancaire dont le remboursement est assuré par des remontées de dividendes dans le cadre du régime des sociétés mère/filles.
5. L’un des associés signataires de l’ECC ou l’un des donataires, héritiers ou légataires ayant pris l’EIC doit exercer dans la société, pendant la durée de l’ECC et pendant les trois années qui suivent la date de la transmission, une fonction de direction7.
« Je souhaiterais donner les titres de ma société à mes enfants et cesser dans le même temps mes fonctions de direction mais aucun d’eux n’a, à ce jour, la capacité de diriger l’entreprise ».
Le non-respect de la condition liée à l’exercice d’une fonction de direction dirigeante au sein de la société entraîne la déchéance du régime de faveur.
La signature d’un ECC avec un ou plusieurs cadres dirigeants de l’entreprise détenteurs de titres est nécessaire. Celui d’entre eux susceptible deremplacer le dirigeant pourra alors remplir l’exercice de la fonction de direction pendant 3 ans après la donation à vos enfants.
Article rédigé par Jérôme Thébault, juriste-fiscaliste patrimonial LCL Gestion de Fortune
1. Article 787 B du CGI pour les titres de société et Article 787 C du CGI pour les entreprises individuelles
2. Taux maximal en cas de donation en pleine propriété par un donateur de moins de 70 ans (environ 11% pour un donateur de plus de 70 ans).
3. Tranche marginale du barème des droits de mutation à titre gratuit (succession ou donation) en ligne directe (entre parents et enfants ou petits-enfants) au-delà de 1 805 677 € par part.
4. Par assimilation, sont également éligibles les « holdings animatrices de groupe » c’est-à-dire des sociétés qui, outre la gestion d’un portefeuille de participations, contrôlent les filiales et mènent activement la politique générale du groupe et rendent, le cas échéant et à titre purement interne, des services spécifiques, administratifs, juridiques, comptables, financiers et immobiliers (BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10 n°50).
5. Exceptions :
- ECC « réputé acquis » si les conditions (détention du % minimum des titres et exercice des fonctions de direction depuis plus de 2 ans minimum) sont déjà remplies au moment de la transmission
- ECC « post mortem » mis en place par les héritiers dans les six mois du décès du chef d’entreprise
6. Depuis 2019, l’ECC peut être signé par une personne seule, pour elle et ses ayants-cause à titre gratuit (une EURL ou SASU peut être transmise sous la loi « Dutreil »)
7. Pour une société relevant de l’IS : Gérant majoritaire de SARL, Gérant de société en commandite par actions, Associés des sociétés en nom collectif, des sociétés en commandite simple, des sociétés en participation, Président, Directeur Général, Directeur Général Délégué, Président du Conseil de Surveillance ou membre du directoire d'une société par actions …).