“C’est assez régulier, confirme Caroline Peyrottes, conseillère Banque Privée au pôle de Boulogne-Billancourt. Depuis mon arrivée en octobre 2019, j’ai eu à plusieurs reprises des clients qui se préparaient à s’installer à l’étranger. Et de par ma formation, un MBA gestion de patrimoine et fiscalité internationale, je suis sensibilisée à cette problématique. J’ai le réflexe de les alerter et de faire appel aux juristes fiscalistes de LCL Banque Privée.” Dans le cas présent, le client était venu voir sa conseillère pour lui faire part très en amont de son projet de partir s’installer en Espagne pour sa retraite. Il souhaitait surtout s’informer des aspects pratiques de banque au quotidien : fallait-il conserver son compte en France, ses titres, son livret d’épargne… “Nous avons fait un tour d’horizon et je l’ai sensibilisé à l’occasion sur la question du régime matrimonial”, indique la conseillère Banque Privée.

Un sujet complexe

Celle-ci sollicite aussitôt l’expertise d’Aurélie Porge, juriste-fiscaliste de LCL Banque Privée, pour l’accompagner et assurer les entretiens suivants en binôme. “C’est assez naturel, assure-t-elle. Il y a des aspects que je maîtrise et d’autres moins. L’expatriation est un sujet complexe et il est impossible pour moi de connaître toutes les conventions internationales.” En l’espèce, le couple a déjà connu une période d’expatriation. Il a résidé à Londres aussitôt après son mariage, célébré en France mais sans contrat. “Dans un contexte international, les époux mariés depuis le 1er septembre 1992 et avant le 29 janvier 2019 sont soumis aux dispositions prévues par la convention de La Haye sur la détermination de la loi applicable au régime matrimonial, indique Aurélie Porge. Or, l’Angleterre ne connaissant pas la notion de régime matrimonial, M. et Mme X sont considérés aux yeux de la France comme mariés sous le régime de la séparation de biens.”

Attention à la mutabilité !

La situation s’est encore compliquée au retour du couple dans l’Hexagone quelques années plus tard. “Le fait de s’installer en France a entraîné un changement de leur régime matrimonial car ils sont de nationalité française, précise Aurélie Porge. La loi de l’État où les époux fixent leur résidence se substitue à la loi précédemment applicable. Les clients ignorent souvent ce changement automatique. Ils sont donc soumis à un régime qu’ils n’avaient pas envisagé avec des conséquences en termes de propriété ou de pouvoir sur les biens.” Le couple est donc désormais soumis au régime légal français de la communauté réduite aux acquêts. Madame a d’ailleurs pensé acquérir un appartement, imaginant qu’il s’agissait d’un bien personnel… Alors qu’il tombe automatiquement dans la communauté. Si les époux ont bien conscience de l’originalité de leur situation, ils n’ont pris aucune disposition pour la corriger. Et faute de conseil, ils n’en saisissent pas les impacts.

Il était pourtant possible d’anticiper ce changement automatique.

“Ils auraient pu faire une déclaration notariée sur la loi qu’ils souhaitaient voir appliquer. Mais celle-ci devait impérativement être faite avant le retour en France. À défaut, le régime légal français s’est automatiquement substitué à la loi anglaise”,

reprend Aurélie Porge. Et leur nouveau projet complique encore la donne : dix ans après leur installation, c’est en effet le régime espagnol qui s’appliquera… voire le droit foral en vigueur dans certaines communautés autonomes du pays. “Dans ce genre de situation, le contrat de mariage est l’outil le mieux adapté pour éviter la mutabilité”, souligne Aurélie Porge. La rétroactivité n’étant jamais de mise, on imagine la difficulté pour déterminer le patrimoine de chacun en cas de divorce ou de décès.

Choisir sa loi

La succession est d’ailleurs une autre source de complexité pour les expatriés. Depuis 2015, le Règlement européen sur les successions précise que tous les biens du défunt sont régis par la même loi, celle de l’État dans lequel il avait sa résidence habituelle au moment du décès. Mais les expatriés peuvent choisir, de leur vivant et devant notaire, celle de leur nationalité. “Beaucoup choisissent leur loi nationale qu’ils jugent plus familière”, indique Aurélie Porge. Le choix n’est pas anodin car il va déterminer qui sont les héritiers et dans quelle proportion ils héritent. Au-delà de l’aspect civil, le problème est aussi fiscal : l’application des droits dépend en effet des conventions entre pays. Et la question se complique ici par le fait que l’un des deux enfants réside en France mais que l’autre vit en Argentine.

Attention aux clauses bénéficiaires

La question des contrats d’assurance-vie se pose également. “L’assurance-vie occupe une place de choix dans le domaine de la gestion et de la transmission du patrimoine. Elle peut se révéler particulièrement adaptée dans un contexte international mais il faut prendre quelques précautions”, précise la juriste-fiscaliste. On sait qu’avec des versements effectués avant 70 ans, les contrats d’assurance-vie de droits français sont soumis à un prélèvement forfaitaire après abattement dont le régime d’application peut se révéler complexe en matière internationale, les conventions fiscales ne lui étant pas applicables. Il est donc possible que l’État de résidence du défunt ou des bénéficiaires impose les capitaux décès issus de l’assurance-vie et que le bénéficiaire subisse donc une double imposition.

Dans notre cas, si Monsieur vient par exemple à décéder, les deux résidents fiscaux à l’étranger de la famille, Madame et le fils “argentin”, pourront éventuellement être taxés dans leur pays de résidence en application de la législation locale. Mais l’enfant résident fiscal en France – depuis plus de six ans au cours des dix années précédant le décès – risque de subir une double imposition : dans l’Hexagone et dans le pays de résidence du défunt. “On peut s’interroger sur la nécessité d’aménager la clause bénéficiaire, voire de la supprimer, sous réserve d’en mesurer pleinement les conséquences juridiques et financières. Dans ce dernier cas, le contrat d’assurance-vie intègre la succession. Cela dépend de la façon dont cette dernière est traitée dans la convention fiscale entre les deux pays.”

Informations précises et fiables

Pour le couple, cette somme de réflexions avisées a valeur de révélation. “Les époux se sont rendu compte des impacts réels de leur situation. Il leur fallait des éléments précis et des confirmations pour en prendre conscience”, indique Caroline Peyrottes. Ils sont donc dans un premier temps invités à faire confirmer ces informations par leur notaire et à envisager l’aménagement de leur régime matrimonial. “Ils attendaient surtout des conseils sur la gestion de leur patrimoine. Mais ils sont très satisfaits d’avoir reçu des informations précises et fiables sur leur situation.”

La problématique
De nationalité française, M. et Mme X se sont mariés en 1994 sans contrat de mariage et se sont installés à Londres aussitôt après leur union avant de revenir en France des années plus tard. Ils envisagent désormais de se fixer en Espagne pour leur retraite. Le couple a deux enfants majeurs dont l’un réside en France et l’autre en Argentine. Il s’interroge sur les conséquences civiles et fiscales de cette situation.

La solution mise en place

  • Établissement d’un contrat de mariage devant notaire afin de fixer le régime matrimonial.
  • Détermination, sur les indications du notaire, de la loi applicable à la succession de chacun des époux au travers de dispositions testamentaires.
  • Examen des clauses bénéficiaires des contrats d’assurance-vie.

Contexte fiscal

  • Conventions fiscales entre la France et l’Espagne.
  • Fiscalité applicable aux contrats d’assurance-vie en cas de décès du souscripteur en France et à l’étranger au regard de la résidence fiscale du défunt et du bénéficiaire : En France, pour des versements avant 70 ans, prélèvement forfaitaire de 20 %, puis 31,25 % au-delà de 700 000 euros, après abattement de 152 500 euros par bénéficiaire désigné tous contrats confondus. Le conjoint survivant est exonéré.
  • Double imposition possible (en France et dans le pays de résidence du défunt) pour les contrats d’assurance-vie lorsque le bénéficiaire est résident fiscal français.