En filigrane, un présupposé : la nécessité de choisir entre croissance et solutions durables. La réalité pourrait pourtant être bien différente. De récents travaux de recherche montrent que miser sur l’énergie décarbonée s’avère être un moyen durable pour certains pays – dont l’économie ne repose pas sur les énergies fossiles –de booster leur croissance. Les opportunités économiques sont immenses, reste maintenant à placer les entreprises dans les conditions de les saisir. Explications.
Si l’Agence internationale de l’énergie (AIE) appelle à la décarbonation du secteur énergétique, elle ne s’en cache pas : la tâche est « monumentale »(1). L’enjeu l’est tout autant.
Le secteur est ainsi aujourd’hui à l’origine de plus de 75 % des émissions de gaz à effet de serre(2). La demande en énergie primaire a augmenté de 60 % au cours des trente dernières années et pourrait doubler d’ici à 2050(3).
L’énergie : un enjeu stratégique (encore) marqué par un relatif statu quo
Atteindre les objectifs suppose donc des bouleversements majeurs dans un domaine particulièrement sensible : l’énergie reste un enjeu hautement stratégique pour les États. Sécurité énergétique, limitation des importations, bénéfices liés aux exportations…
« Pour un grand nombre de pays, développer ses filières énergétiques, c’est la perspective en premier lieu de renforcer sa sécurité énergétique, mais aussi d’être plus résilients face aux tensions géopolitiques comme aux fluctuations du marché, notamment quand il s’agit de pétrole ou de gaz ».
Or jusqu’à présent, qui dit énergie, dit d’abord et avant tout énergies fossiles… En effet, malgré la progression des énergies renouvelables, comme l’éolien ou le solaire, le mix énergétique à l’échelle mondiale ne connaît pas de changement structurel depuis trois décennies.
« Les énergies fossiles restent largement prédominantes, avec un usage captif du pétrole dans les transports, du charbon et du pétrole dans l’industrie, et des combustibles fossiles dans la production d’électricité »
Le potentiel économique, le point de bascule attendu ?
Mais une pandémie mondiale est passée par là, et les signes de changement de paradigme se multiplient. Le constat semble de plus en plus partagé que, pour répondre à une crise d’une ampleur inédite, les problématiques environnementales vont non seulement devoir être intégrées, mais tenir une place de choix. À l’image du plan de 2 000 milliards de dollars mis en place par l’administration Biden, les programmes de relance de nombreux pays à travers le monde comprennent une forte composante environnementale.
Dans ce contexte de refonte, le Fonds Monétaire International (FMI) a montré, dans une note de mars dernier(4), à quel point miser sur les énergies décarbonées participait à la relance de l’économie dans la durée. Dans plusieurs pays et sur plusieurs décennies, les auteurs ont répertorié les investissements décarbonés et carbonés liés à l’énergie et à l’exploitation des sols, soit les deux principales sources d’émissions de gaz à effet de serre. L’idée était de mesurer, pour chaque dollar investi, combien le PIB avait augmenté au cours des années qui ont suivi. Conclusion ?
Les investissements dans les projets respectueux de l’environnement ont un impact beaucoup plus fort sur l’économie que les investissements non respectueux de l’environnement.
Miser sur les énergies décarbonées participe à la relance sur trois enjeux décisifs : l’emploi, la compétitivité et l’innovation. Mais Cécile Seguineaud prévient : réussir cette bascule implique de ne pas se focaliser uniquement sur le développement de la production d’énergies décarbonées.
« Il est essentiel d’avoir une approche systémique, c’est-à-dire d’intégrer l’efficacité énergétique, les infrastructures bas carbone, les réseaux électriques ou l’économie circulaire. Le FMI insiste d’ailleurs sur l’importance d’une transition juste, en accompagnant notamment la transition des travailleurs des énergies fossiles vers les énergies bas carbone ».
Le rapport(5) pointe ainsi que les secteurs de l’efficacité énergétique dans les bâtiments et l’industrie, mais aussi le photovoltaïque sont les domaines qui créent le plus d’emplois au regard de l’investissement réalisé. Entre 10 et 15 emplois sont créés par millions de dollars investis – soit 2 à 3 fois plus que pour les énergies fossiles.
Inventivité, investissements… et coopération
Les perspectives pour les prochaines années et décennies dans le secteur énergétique sont donc colossales. Pour réaliser une éventuelle révolution industrielle bas carbone, le challenge sera en grande partie technologique. Certaines innovations clés, portant par exemple sur le stockage de l’électricité, l’hydrogène, ne sont ainsi pas encore disponibles à grande échelle à l’échelle commerciale. « L’AIE a estimé(6) que pour atteindre la neutralité carbone d’ici à 2070 dans le secteur de l’énergie, 75 % des réductions d’émissions dans le secteur de l’industrie devraient venir de technologies pas encore disponibles sur le marché », remarque ainsi Cécile Seguineaud.
Comme le souligne avec pragmatisme Bill Gates dans son dernier ouvrage(7), les efforts d’innovation doivent porter sur les breakthrough technologies, les solutions techniques qui seront adoptées par les industriels et les particuliers. Parmi celles-ci, on peut citer l’exemple des installations de captage, utilisation et stockage du carbone (CCUS). Sans doute incontournable pour envisager un paysage « zéro émission net », le procédé permet de capter le carbone des gaz de combustion ou directement de l’air, puis de le stocker sous terre ou de le réutiliser.
Malgré les perspectives économiques, les entreprises ne pourront agir seules. Il est nécessaire d’établir des politiques claires, à long terme, pour donner confiance aux acteurs et investisseurs dans l’ensemble des filières bas carbone. Cela passe par le développement d’une vision intégrée et planifiée en y intégrant les infrastructures associées, avec la création de clusters industriels notamment, soutenus, en amont, par des mécanismes de soutien à l’investissement et des politiques de soutien de la demande.
« Gouvernements, secteur privé, investisseurs, responsables locaux… l’une des clés sera de parvenir à créer une collaboration étroite entre tous les acteurs, via des joint-ventures et autres partenariats publics-privés, pour assumer ensemble les risques de l’investissement et de l’innovation »
Avec à la clé, des bénéfices également partagés, pour la planète et l’économie.
(1) https://www.iea.org/reports/net-zero-by-2050?utm_campaign=IEA%20newsletters&utm_source=SendGrid&utm_medium=Email
(2) https://www.lemonde.fr/energies/article/2021/05/18/l-agence-internationale-de-l-energie-appelle-a-ne-plus-investir-dans-de-nouvelles-installations-petrolieres-ou-gazieres_6080549_1653054.html
(3) https://www.connaissancedesenergies.org/sites/default/files/pdf-actualites/ieo2019%20%281%29.pdf
(4) https://www.imf.org/en/Publications/WP/Issues/2021/03/19/Building-Back-Better-How-Big-Are-Green-Spending-Multipliers-50264#:~:text=The%20estimated%20multipliers%20associated%20with,on%20sectors%2C%20technologies%20and%20horizons
(5) https://www.iea.org/reports/sustainable-recovery
(6) https://www.iea.org/reports/energy-technology-perspectives-2020
(7) « Climat : comment éviter un désastre ? », Flammarion, 2021
Contenu édité par CPR Asset Management sur https://trendsformative.com/fr/
CPR Asset Management, Société anonyme au capital de 53 445 705 € - Société de gestion de portefeuille agréée par l’AMF n° GP 01-056 - 399 392 141 RCS Paris - 90, boulevard Pasteur, 75015 Paris - France.