Cette année, le profil et la vigueur de la croissance seront encore placés sous le sceau de la pandémie. Même si on peut espérer que l’arbitrage délicat entre croissance et sécurité sanitaire sera moins radical qu’en 2020. La perspective d’un vaccin et des stratégies de confinement aménagé permettent ainsi d’espérer que la croissance échappe au stop-and-go violent expérimenté en 2020. Après un premier semestre encore anémié, la reprise sous perfusion monétaire et budgétaire serait néanmoins modeste et disparate. Ensuite, à la faveur de l’allégement progressif des plans de soutien, apparaîtront les cicatrices durables du choc économique lié à la pandémie.

Faisons tout d’abord, un rapide tour du monde par grandes zones géographiques.

Incertitudes américaines

Aux États-Unis, alors que les contours et le calendrier d’un nouveau plan de relance sont encore à dessiner, la résurgence du virus fait planer un risque de forte décélération au premier semestre. L’accélération attendue sur la seconde partie de l’année conduirait à une reprise de 3,1 % après une contraction limitée à 3,6 % en 2020. Fin 2021, le PIB en volume serait encore très légèrement inférieur à son niveau précrise (fin 2019).

Impacts variables en Europe

En zone euro, où l’on suppose que seront maintenus les dispositifs de soutien à l’activité en faveur des ménages et des entreprises, la croissance se situerait autour de 3,8 %, après s’être contractée de 7,4 % en 2020. Selon les caractéristiques structurelles (dont composition sectorielle de l’offre et de l’emploi, poids des services, capacité d’exportation et adéquation des produits exportés, etc.) et les stratégies nationales (arbitrage santé/économie, abondance et efficacité des mesures de soutien), tant l’ampleur du choc que la vitesse et la puissance de la récupération seront extrêmement diverses. Ainsi, fin 2021, si le PIB de la zone euro est encore inférieur de 2,4 % à son niveau d’avant crise, l’écart serait limité à 2 % en Allemagne, alors qu’il resterait proche de 7,4 % en Espagne pour se situer autour de 2,2 % et 3,9 %, respectivement, en France et en Italie. Au Royaume-Uni, aux conséquences de la pandémie s’ajoutera le processus de “désimbrication” : succédant à une contraction majeure puisqu’estimée à 11,1 % en 2020, la croissance approcherait 4,5 %, laissant fin 2021 le PIB inférieur de 3,8 % à son niveau pré-crise.

Disparités dans les pays émergents

Dans les pays émergents, la reprise économique sera plus laborieuse et éminemment plus disparate que ne le suggère la croissance prévue pour 2021. Après une contraction un peu inférieure à 3 % en 2020, une reprise proche de 5,6 % se profile. Ce chiffre masque une grande diversité : il dissimule à la fois les effets immédiats de la crise, du fait notamment de contraintes monétaires et budgétaires plus sévères et diverses que dans l’univers développé, mais aussi ses conséquences durables sous la forme du creusement du fossé structurel entre les émergents asiatiques et les autres. L’Asie (notamment l’Asie du Nord) a moins souffert et s’apprête à mieux rebondir. La Chine en tête où la croissance approcherait de nouveau 8 % en 2021 après n’avoir payé qu’un tribut très modeste en 2020, puisque ralentissant vers 2,6 % en échappant à la récession. Peut-on dès lors compter sur le dynamisme chinois pour tonifier l’Asie et promouvoir le redressement du reste du monde à l’aune de l’expérience de 2009 ? Non. À la faveur de l’épuisement de la majeure partie du rattrapage, la croissance chinoise a ralenti ; la Chine n’a plus les moyens de tracter le reste du monde. De plus, elle n’en a plus envie, comme l’atteste sa nouvelle stratégie dite de “circulation duale” qui vise à limiter sa dépendance vis-à-vis de l’extérieur.

Accompagner la sortie de crise

Il faudra donc essentiellement compter sur ses propres forces : les grandes économies seront encore aidées par des soutiens budgétaires massifs, des politiques monétaires particulièrement accommodantes, des conditions financières favorables allégeant par ailleurs les contraintes de financement externe des pays émergents. En réponse à la crise, les digues monétaires ont en effet cédé et l’accommodation paraît proche de son maximum. Si certains totems peuvent encore tomber (comme l’hypothèse de taux négatifs au Royaume-Uni qui ne peut être exclue), il semble que l’exercice d’assouplissement ait atteint un terme (entendu au sens d’outils nouveaux) et qu’il faille plutôt compter sur des améliorations-extensions des dispositifs existants. Si ceux-ci semblent calibrés pour accompagner la sortie de crise, ils devront être suppléés par la politique budgétaire pour consolider la reprise, une fois les soutiens exceptionnels allégés. Le cas du Japon, où l’innovation monétaire semble aboutie, l’indique : la politique budgétaire joue un rôle plus direct dans la réduction de l’écart de production et la Banque du Japon l’accompagne en agissant comme un “stabilisateur intégré” des taux longs via le contrôle de la courbe des taux.

Les progrès de la zone euro

Reprise lente, probablement chaotique, incertitudes multiples et assouplissements monétaires : un tel environnement est propice au maintien de taux d’intérêt extrêmement faibles. Il faudra attendre qu’enfin se matérialisent les nouvelles favorables tant en termes sanitaires qu’économiques pour que se dessine une amorce de redressement, limitée par l’absence d’inflation et les excès de capacité. Par ailleurs, c’est notamment à l’aune de l’évolution passée et prévue des taux d’intérêt que peuvent être jugés les progrès accomplis par la zone euro : une solidarité manifeste qui se traduit par une fragmentation évitée, un resserrement des primes de risque acquittées par les pays dits de la “périphérie”, une bonne tenue de l’euro. Notre scénario retient donc des taux souverains à dix ans américains et allemands proches fin 2021 de, respectivement, 1,25 % et ‑ 0,40 %, couplés à des spreads au-dessus du Bund de 20 points de base (pb), 50 pb et 100 pb pour la France, l’Espagne et l’Italie. En ligne avec un scénario de reprise même timide et peu synchrone, le dollar, contracyclique par excellence, pourrait se déprécier au profit de l’euro et de devises procycliques ou portées par l’appétit pour le risque. La dépréciation du dollar serait toutefois limitée par la résurgence des tensions sino-américaines pesant, en particulier, sur les devises asiatiques : la crise n’a que temporairement éclipsé les dissensions entre les États-Unis et la Chine.

Vers de nouveaux équilibres

Si le calendrier de “reprise des hostilités” est incertain (installation de la nouvelle administration américaine, gestion de ses problèmes domestiques, reconstruction de ses alliances internationales), si la présidence de Joe Biden augure d’un changement de ton (moins unilatéral, plus prévisible et moins bruyant), les racines du ressentiment américain demeurent. La désescalade factice des tensions commerciales sino-américaines ne peut cacher un phénomène de dislocation. La montée du protectionnisme et du risque politique étaient propices à l’essoufflement de l’hyper-globalisation : la crise devrait être favorable à une régionalisation accrue des pôles de croissance, comme l’atteste la signature du Regional Comprehensive Economic Partnership unissant la Chine, les pays membres de l’ASEAN et de grands alliés américains (Australie, Corée du Sud, Japon, Nouvelle-Zélande). De la crise, accélérateur de fragmentation et amplificateur de fragilités, émergera également une disparité accrue des performances et perspectives de croissance, mais aussi des indicateurs sociaux, particulièrement visible au sein des pays émergents.

Achevé de rédiger le 6 janvier 2021