Dans la sphère émergente, l’Asie fait la course en tête avec en particulier une Chine triomphante qui, débarrassée du virus, du moins officiellement, a repris le chemin d’une croissance forte, laquelle permet de propulser son économie au-delà des niveaux d’avant-crise. Dans les autres pays hors Asie, les impératifs économiques semblent avoir repris le dessus compte tenu de marges de manœuvre budgétaires insuffisantes pour soutenir les économies dans la durée. La reprise se fait parfois au prix d’un lourd bilan humain notamment là où la gestion de l’épidémie s’avère chaotique (Amérique latine et surtout Brésil). Les économies tributaires du secteur du tourisme (Afrique du Nord) ou dépendantes des exportations de pétrole (pays du Golfe ou producteurs africains), lesquelles sont encore freinées par les engagements de réduction de la production pris dans le cadre de l’accord Opep+, connaissent un redémarrage plus laborieux. La capacité à rebondir est également contrainte dans les pays où l’emploi et les secteurs informels portent les traces de la crise (Inde et Afrique subsaharienne).

Des mesures efficaces

Dans les économies avancées, les mesures de soutien budgétaire et monétaire hors norme ont permis d’amortir les dégâts du choc économique “provoqué” et de laisser les économies relativement intactes pour leur faire enjamber la crise et permettre un redémarrage rapide une fois les contraintes levées.

Dans les économies avancées, la stratégie de portage s’avère payante puisqu’à chaque levée des restrictions sanitaires, l’activité repart avec vigueur.

Aux États-Unis, le choix de nombreux États de privilégier l’activité en limitant les contraintes sanitaires ainsi que le plan massif de soutien au revenu des ménages ont permis de remettre l’activité sur les rails et de combler les pertes de production, avec un niveau de PIB fin 2020 inférieur de seulement 2,5 % à la normale pré-crise. En zone euro, le paysage est plus contrasté avec des différences de performances entre les pays suivant l’évolution de l’épidémie, les arbitrages faits entre santé et économie, les spécialisations sectorielles et l’ampleur ou l’efficacité des plans d’urgence. Si bien que le chemin à parcourir pour une récupération complète des économies s’échelonne fin 2020 entre 4 % à 5 % en Allemagne et en France, 6,6 % en Italie et plus de 9 % en Espagne.

Vers l'immunité collective

Les perspectives d’activité pour 2021 vont étroitement dépendre du scénario sanitaire avec une course de vitesse entre le virus, notamment ses variants plus contagieux, et les vaccins. La reprise économique passe en effet par l’accélération de la vaccination avec un risque de décalage temporel entre les États-Unis ou le Royaume-Uni, en avance sur leur campagne vaccinale, et la zone euro en retard sur son calendrier par manque de doses. Si, en Europe, le seuil d’immunité collective pourrait être atteint plus tardivement qu’initialement espéré, la vaccination prioritaire des personnes les plus susceptibles de développer des formes graves de la maladie pourrait permettre un relâchement durable des contraintes à partir de l’été. De quoi donner un coup de fouet à l’activité.

Relance forte en Europe et aux Etats-Unis

Les choix politiques vont aussi conditionner l’ampleur du rebond.

Le plan européen de relance de 750 milliards d’euros, financé par l’émission d’une dette commune, est centré sur l’offre avec une volonté de transformation profonde des économies pour améliorer le potentiel de croissance à long terme, et garantir une croissance et une prospérité durables et équitables. Vu son horizon temporel et son processus lent de ratification, son impact risque d’être relativement limité à court terme avec sans doute la nécessité de reconduire certaines mesures d’urgence, notamment pour les secteurs sinistrés, afin de gérer en douceur la transition vers l’après crise sanitaire.

Du côté des États-Unis, le plan massif de relance, centré sur la demande avec notamment la distribution de chèques aux ménages, va sur-stimuler l’économie au point de craindre un risque de surchauffe. Son montant de 1 900 milliards de dollars dépasse en effet largement l’estimation de l’écart de production qui additionne les pertes encourues pendant la crise et le manque à gagner en termes de croissance, soit un total d’environ 900 milliards de dollars. La dose de stimulus injectée va dépendre de l’utilisation par les ménages de ce surplus de revenu avec un arbitrage entre consommation, épargne et désendettement. C’est sans compter le nouveau plan d’infrastructures proposé par Joe Biden d’un montant de plus de 2 000 milliards de dollars, étalé sur plusieurs années et tout ou partie financé par des hausses d’impôts.

Au final, la reprise s’annonce forte aux États-Unis avec une croissance supérieure à 5 % en 2021, de quoi entrevoir un retour à la normale d’ici quelques mois et ainsi tourner la page de la crise. La zone euro peut espérer retrouver son niveau d’activité d’avant-crise dans le courant de l’année 2022 avec une promesse de croissance de 4 % pour ces deux prochaines années sur fond d’amélioration de la situation sanitaire.

Le spectre de l'inflation

En attendant, ces anticipations de reprise accélérée aux États-Unis ont ravivé les craintes d’un retour de l’inflation. Des tensions sont déjà apparues en amont sur les marchés des matières premières agricoles ou industrielles. Elles sont le reflet d’un déséquilibre entre, d’un côté, le redémarrage rapide de la demande en provenance d’Asie alimentée en partie par la reconstitution de stocks stratégiques et, de l’autre, une offre rigide à court terme incapable de répondre à cet emballement sur les carnets de commandes. Les effets de base poussent également les indices de prix, notamment celui du pétrole, vers le haut. Mais au-delà de cette bosse d’inflation, le vieillissement démographique, la mondialisation et la révolution technologique restent des forces désinflationnistes puissantes, lesquelles devraient contribuer à la sagesse des prix sur le long terme.

Cependant, les espoirs d’une sortie par le haut de la crise ont entraîné une remontée rapide et forte des taux d’intérêt américains. Dans leur sillage, les taux européens se sont légèrement tendus, de quoi redouter un resserrement indésirable des conditions de financement à l’heure où le calendrier et l’ampleur de la reprise en zone euro restent encore incertains. La Banque centrale européenne a réagi rapidement afin de freiner la contagion en annonçant une accélération de son programme de rachat d’actifs dans le cadre de son plan d’urgence pandémie. La réaction de la Réserve fédérale américaine (Fed) fait également l’objet de toutes les attentions. Avec sa nouvelle stratégie monétaire de ciblage de l’inflation moyenne, la Fed est prête à tolérer une accélération temporaire des prix et ne prévoit pas de relever ses taux avant début 2023, une fois la reprise bien engagée.

Des bourses toujours dynamiques

Ces tensions sur les marchés obligataires n’ont pas empêché les bourses de monter, preuve de l’optimisme qui règne au sein de la communauté des investisseurs quant aux perspectives d’activité.

Toutes les classes d’actifs risqués atteignent d’ailleurs des niveaux de valorisation élevés, avec des investisseurs en quête de rendement prêts à oublier le caractère fragile de la reprise et les potentiels effets de longue traîne de la crise.

Le risque d’ailleurs est que les excès de liquidité, nés d’une création monétaire débridée, se déversent sur les marchés et conduisent à une inflation des prix d’actifs avec la formation de bulles qui pourraient à terme mettre en danger la stabilité financière globale. La menace de débâcle financière semble néanmoins écartée tant que la perfusion monétaire permet d’alimenter en carburant les marchés.

Inégaux face à la crise

Cette crise sanitaire totalement inédite se révèle être un accélérateur de fragmentation et un amplificateur de fragilités.

Elle ne sera pas exempte de séquelles durables. L’ampleur et la gravité de ces dommages sociaux ou économiques sont, en l’état actuel, difficilement estimables, mais le degré de résilience et la capacité de rattrapage des économies s’annoncent hétérogènes suivant les pays. L’Asie, qui peut mobiliser une épargne domestique abondante pour investir et innover, aura une faculté de rebond plus importante que d’autres économies émergentes à taux d’épargne structurellement faible, comme en Amérique latine ou en Afrique. Les marges de manœuvre monétaire ou budgétaire vont aussi être un facteur différenciant pour permettre aux États d’effacer les stigmates de la crise et de financer la relance, en utilisant au besoin le bilan des banques centrales. Les économies avancées, qui émettent dans leur propre monnaie, ont de ce point de vue un avantage, là où, dans les pays émergents, la qualité de la signature souveraine va faire la différence.