Ce dispositif est donc extrêmement avantageux surtout lorsqu’il s’agit de calculer un impôt basé sur un barème progressif dont le taux peut atteindre 45% pour les transmissions en ligne directe ; voire même 60% pour les transmissions entre parents au-delà du 4ème degré ou entre personnes non parentes.
Les 3 conditions pour bénéficier de l’exonération
- L’entreprise individuelle doit avoir été détenue par le défunt ou donateur depuis plus de 2 ans lorsqu’elle a été acquise à titre onéreux.
- Les bénéficiaires de la transmission doivent conserver l’ensemble des biens affectés à l’exploitation de l’entreprise pendant au moins 4 ans.
- L’un au moins des bénéficiaires doit poursuivre effectivement pendant 3 ans l’exploitation de cette entreprise, et ce à compter de la date de la transmission.
Elle s’applique sans limitation de montant pour autant que l’ensemble des biens transmis soit « affecté à l’exploitation ».
L’importance de la notion de biens « affectés à l’exploitation »
A cet égard, il est rappelé que la Cour de cassation reconnaît qu’un bien inscrit à l’actif du bilan est présumé affecté à l’entreprise. Néanmoins, elle réserve la possibilité à l’administration d’apporter la preuve contraire(2).
Plus récemment, un arrêt de la Haute Cour du 9 février 2022(3) revient sur cette notion d’affectation du bien à l’activité pour accorder l’avantage fiscal Dutreil.
Cet arrêt réserve l’exonération partielle aux biens ainsi transmis pour autant qu’ils soient nécessaires et effectivement affectés à l’exploitation, et non simplement inscrits à l’actif du bilan de l’entreprise.
La doctrine administrative est donc conforme à cette jurisprudence lorsqu’elle prévoit que : « les biens affectés à l'exploitation sont les biens nécessaires à l'exercice de la profession. Ce critère est donc indépendant de la présence du bien à l'actif du bilan de l'entreprise. Ainsi, les biens non affectés à l'exploitation, tels que des immeubles à usage d'habitation ou des valeurs mobilières (titres de placement), sont exclus du bénéfice de l'exonération partielle, même s'ils figurent à l'actif du bilan de l'exploitation individuelle. »(4)
Les circonstances de l’espèce relevées par l’arrêt précité, étaient peu favorables au contribuable pour faire reconnaître par le juge le caractère nécessaire d’une trésorerie importante pour la poursuite de l’exploitation.
Mais outre les faits qui ont été jugés, apprécier le caractère nécessaire à l’exploitation d’un capital financier inscrit en compte de trésorerie, est un exercice qui peut s’avérer délicat surtout en l’absence de critère chiffré.
Certes, il semble difficilement contestable qu’une trésorerie inférieure aux dettes à court terme est nécessairement affectée à l’exploitation. En revanche, la situation paraît moins évidente lorsque cette trésorerie s’élève à un montant nettement supérieure aux dettes de l’entreprise.
Au cas d’espèce, la cour d’appel de Pau dans la même affaire avait constaté que l’actif circulant était nettement supérieur à la moyenne des charges d’exploitation des trois derniers exercices(5).
La Cour de cassation approuve la méthode lorsqu’elle rappelle que « l’entreprise individuelle disposait de liquidités supérieures à ses charges courantes d’exploitation. »
Pourtant, au-delà des faits jugés dans cet arrêt, on peut légitimement s’interroger du cas d’un chef d’entreprise préférant thésauriser pour préparer le développement de son entreprise. Les investissements programmés dans ce projet requerraient inévitablement des moyens financiers excédants le montant des charges courantes.
De même, un dirigeant, souhaitant assurer la pérennité de son entreprise, préférerait également conserver la trésorerie pour parer à toutes crises économiques, voire même sanitaire…impactant potentiellement son activité. Dans ces situations, le montant de cette dernière serait aussi plus important que le montant des charges courantes…
Le cas de la transmission de parts ou d’actions de société
Lorsque la transmission sous dispositif Dutreil porte sur des parts ou actions de société, la question de la trésorerie est analysée différemment puisque c’est un autre texte légal qui s’applique avec ses propres critères(6).
Dans ce cas, seules les parts ou actions d’une société qui exerce une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale peuvent bénéficier de l’exonération à hauteur de 75%(7) excluant celle exerçant une activité simplement civile. La société n’a pas à exercer à titre exclusif une de ces activités éligibles ; il faut juste qu’elle l’exerce de manière prépondérante.
Les commentaires administratifs de ce dernier dispositif répondent indirectement à la problématique de la trésorerie au regard du cas de la société poursuivant une activité mixte.
Rappelons, que l’activité mixte est celle de la société qui exerce simultanément une activité commerciale (ou industrielle, artisanale, libérale, agricole) et une activité civile. Et la gestion d’un capital financier excédant la simple gestion de trésorerie pourrait être considérée comme une activité purement civile. Pour estimer la prépondérance de l’activité éligible, la doctrine administrative rappelle le principe d’un arrêt récent du Conseil d’Etat(8) : « le caractère prépondérant de l’activité industrielle, artisanale, agricole ou libérale s’apprécie en fonction d’un faisceau d’indices déterminés d’après la nature de l’activité et les conditions de son exercice ». A titre d’exemple, l’administration nous donne un critère non pas qualitatif mais quantitatif : le chiffre d’affaires procuré par l’activité éligible doit représenter au moins 50% du chiffre d’affaires total et la valeur vénale de l’actif brut immobilisé et circulant au moins 50% de la valeur vénale de l’actif brut total(9) .
Il convient de rappeler que cet arrêt est venu invalider cette doctrine administrative à l’époque où cette dernière le présenter non comme exemple mais comme principe à respecter.
En conclusion, l’éligibilité d’une trésorerie au dispositif Dutreil semblerait facilitée lorsqu’elle s’inscrit au bilan d’une société pour autant l’activité éligible reste prépondérante. Sous cette limite, son éligibilité à l’exonération partielle ne serait pas remise en cause même si son montant excédait le montant de ses charges courantes.
Achevé de rédiger le 29 mai 2022 par Nicolas Descat, juriste fiscaliste patrimonial - LCL Banque Privée Méditerranée
(1) Article 787 C du code général des impôts (CGI)
(2) En matière d’ISF, à propos de la qualification de biens professionnels, Cour de cassation 10 juillet 1989 n°1035, Cour de cassation 15 juin 1993 n°91-12.745 et Cour de cassation 3 juin 1998 n°96-16.470
(3) N°20-10.753
(4) BOI-ENR-DMTG-10-20-40-40 §10
(5) Arrêt du 19 novembre 2019 n°16-03456
(6) Article 787 B du CGI
(7) Sous réserve que les autres conditions soient remplies
(8) CE, 23 janvier 2020 n°435562
(9) BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10 § 20