En matière d’ingénierie patrimoniale et d’outil de transmission, la SCI familiale soumise à l’IR dans le cadre du régime de translucidité fiscale prévu à l’article 8 du Code général des impôts fait figure de favorite.

Sur le plan juridique, elle permet d’éviter les contraintes de l’indivision et de dissocier la détention des parts sociales du pouvoir de gestion des biens immobiliers. Elle est ainsi souvent utilisée dans des schémas familiaux lorsque des parents souhaitent amorcer la transmission de biens à leurs enfants tout en gardant un certain contrôle et le cas échéant, en conservant les revenus locatifs qui peuvent y être associés.

C’est dans ce contexte que le Conseil d’Etat a eu à se prononcer, saisi d’un litige fiscal dans le cadre duquel l’administration avait remis en cause une imputation de déficits fonciers entre les mains d’associés minoritaires.

En l’espèce, une SCI à l’IR avait été constituée en 2004 par des parents avec apport d’un terrain à bâtir. Peu de temps après, en 2005, les parents avaient transmis par donation-partage en nue-propriété 99% des parts de la société à leurs 5 enfants. Par la suite, ces derniers avaient fait édifier une construction par le biais d’un emprunt en vue d’une location selon le dispositif fiscal du « Robien recentré » permettant d’amortir une fraction du terrain et de la construction dans le cadre de l’imposition des revenus fonciers.

Avant la clôture des exercices 2014, 2015 et 2016, les 7 associés de la SCI avaient décidé dans le cadre d’une assemblée générale extraordinaire (AGE), d’attribuer l’ensemble des pertes ou bénéfices aux seuls parents minoritaires détenteurs de 1% des parts sociales. Au cours des assemblées générales de 2015 et 2016, il avait été prévu que les pertes seraient affectées au compte courant d’associé des parents. Ainsi, les parents avaient pu imputer sur leurs revenus fonciers la totalité des déficits de la SCI au titre des exercices considérés.

L’administration fiscale avait rejeté l’imputation de la totalité des déficits pour la détermination des revenus fonciers des parents, au motif qu’ils ne pouvaient pas déduire plus que leur quote-part de droits sociaux à savoir 1% du capital social de la SCI. Les décisions prises en AGE devaient ainsi être considérées comme des clauses léonines et donc réputées non écrites.

Par définition, la clause léonine est une clause abusive qui vient rompre l’équité entre les associés en créant un déséquilibre injustifié. Le droit des sociétés vise ainsi deux clauses réputées non écrites à savoir celles prévoyant l’exclusion d’un associé aux pertes ou l’anéantissement du droit au bénéfice d’un associé.

Le litige ayant été porté devant les juridictions, le Tribunal administratif de Paris a conforté la position de l’administration fiscale et rejeté la demande de décharge des suppléments d’imposition des parents associés minoritaires de la SCI (TA Paris, 19 juin 2020, n° 1903810).

 

Mais, la Cour d’appel de Paris a infirmé le jugement de 1ère instance en considérant « qu’un acte passé avant la clôture de l’exercice peut conférer aux associés des droits différents de ceux qui résulteraient de la seule application du pacte social ». Elle ajoute que « les décisions des assemblées générales extraordinaires (…) qui ne dérogent que de manière ponctuelle au pacte social, qui concernent tant les bénéfices que les pertes, en les attribuant d’ailleurs à deux associés et non à un seul (…) ne peuvent être regardées comme constituant une clause léonine des statuts mettant à la charge d’un associé la totalité des pertes d’une société et de ce fait réputée non écrite[1]» (CAA Paris, 26 janvier 2022, n° 20PA01989).

Saisi d’un pourvoi en cassation du ministre de l’Economie et des Finances, le Conseil d’Etat a conforté l’arrêt de la Cour d’appel de Paris par une interprétation stricte des dispositions du Code civil en considérant que les décisions prises en AGE ne constituaient pas une clause léonine mais une simple dérogation ponctuelle au pacte social, alors même qu’elles avaient eu pour effet d’exonérer certains associés de toute participation aux pertes.

Toutefois, cette solution du Conseil d’Etat ne se prononce pas sur la distinction entre résultat de l’exercice et notion de « contributions aux pertes ». En effet, les associés d’une société ont vocation aux bénéfices et contribuent aux pertes en fonction des statuts, sauf dérogation conventionnelle ou par un acte antérieur à la clôture de l’exercice.

Si une dérogation ponctuelle à l’attribution des résultats d’une société est admise par la Haute juridiction, les associés n’en demeureront pas moins tenus de contribuer aux éventuelles pertes « sociales » à la dissolution de la société à hauteur de leur quote-part de droits sociaux. Bien qu’un déficit puisse être constaté au plan comptable et fiscal, notamment du fait de l’amortissement inhérent à un régime incitatif tel que celui du « Robien recentré », aucune contribution immédiate aux pertes n’est demandée aux associés avant la dissolution de la société.

A noter également que la donation portait sur la nue-propriété des parts et que, selon l’administration fiscale, les usufruitiers peuvent déduire l’intégralité des déficits fonciers du fait de cette qualité (BOI-RFPI-CHAMP-30-20 n°160 renvoyant à BOI-BIC-CHAMP-70-20-10-20 n°100).

La décision rendue se limite ainsi aux aspects civils sans répondre aux conséquences fiscales induites par cette dérogation statutaire, ayant été rendue dans un contexte particulier de démembrement, non relevé d’ailleurs par le Conseil d’Etat. On peut donc s’interroger sur les arguments que la Haute juridiction aurait développés dans ses « attendus » pour fonder et motiver sa décision dans une espèce où l’associé minoritaire n’aurait pas détenu la totalité des autres parts sociales en usufruit.

Si la liberté contractuelle est ici avantageuse pour les contribuables, il ne faut pas pour autant en tirer argument pour optimiser allégrement des schémas de planification fiscale. En effet, des interrogations demeurent quant à d’autres risques de remise en cause que l’administration aurait pu invoquer. Si le fondement de la prohibition des clauses léonines n’a pas été retenu au cas d’espèce, l’administration aurait pu invoquer celui de l’abus de droit lequel nécessite la démonstration d’un acte fictif ou la recherche d’un but exclusivement ou principalement fiscal[2]. Un autre risque pourrait également résider dans l’existence d’une libéralité déguisée ou indirecte des parents aux enfants du fait de cette attribution des déficits, même si la personnalité morale de la SCI fait écran.

La prudence demeure donc dans la possibilité de prévoir une attribution inégalitaire des résultats d’une société dès lors que la principale motivation serait purement fiscale et donc susceptible de requalification par l’administration avec des pénalités encourues pouvant aller de 40% à 80% du montant d’impôt éludé. Le seul fait que la dérogation statutaire conduisant à une attribution inégalitaire des résultats serait ponctuelle ne saurait suffire à elle seule à écarter tout risque d’abus de droit en l’absence de motifs autres que fiscaux. Des incertitudes subsistent quant à la validité fiscale de ces attributions inégalitaires qui devront être appréciées au cas par cas et au regard des faits de chaque espèce.

Achevé de rédigé le 17 février 2023 par Aurore Dardaine-Chaumier, Juriste fiscaliste patrimonial LCL Banque Privée Grand Paris Sud et Est

(1) En application de l’article 1844-1 du code civil 
(2) Article L64 et L64 A du Livre des procédures fiscales