Pour rappel, dans le cadre d’un démembrement de propriété, l’usufruitier dispose du droit d’utiliser le bien (l’usus) et d’en percevoir les fruits (le fructus). De son côté, le nu-propriétaire a le droit d’en disposer (l’abusus) à terme, c’est-à-dire au décès de l’usufruitier. Ce mécanisme est souvent utilisé lors d’une donation ou d’une succession. Le démembrement de propriété peut notamment porter sur un bien immobilier, un portefeuille de valeurs mobilières mais également sur une somme d’argent. Lorsqu’un usufruit porte sur un tel bien consomptible, c’est-à-dire dont il ne peut être fait usage sans le consommer, il n’est pas possible d’appliquer les droits de l’usufruitier et du nu-propriétaire comme sur les autres biens énoncés ci-dessus. C’est pour répondre à cette problématique qu’a été créée la notion de quasi-usufruit(2).

Aussi, lors d’une donation de sommes d’argent avec réserve d’usufruit, l’usufruitier peut ainsi consommer la somme transmise comme un « propriétaire » mais il doit, au terme du démembrement de propriété, restituer l’équivalent au nu-propriétaire. Ce dernier détient donc une créance de restitution(3) égale au montant de la somme donnée à l’égard du donateur.

 Jusqu’à présent, à l’extinction du quasi-usufruit :

  • Le nu-propriétaire récupérait la pleine propriété du bien en franchise de droits(4).
  • La dette de restitution de ce dernier était déduite de l’actif successoral du défunt(5).

Exemple :

M. Pierre, âgé de 62 ans, a effectué une donation d’une somme d’argent de 100 000 € à son fils unique en se réservant l’usufruit. En application du barème de l’article 669 du CGI, la valeur de la nue-propriété était de 60 %(5) et donc la base taxable aux droits de donation de 60 000 €. Cette opération permettait au donateur d’atténuer le montant des droits tout en conservant l’entière jouissance de cette somme d’argent. En contrepartie, le nu-propriétaire disposait, comme évoqué précédemment, d’une créance de restitution de 100 000 € qu’il pouvait déduire de l’actif successoral de son père.

Contexte

L’administration fiscale a tenté à plusieurs reprises de remettre en cause ce type de schéma estimant qu’il répondait à des considérations principalement fiscales. La donation d’une somme d’argent avec réserve de quasi-usufruit serait, selon elle, dépourvue d’intention libérale et donc fictive(7) (absence de dépouillement irrévocable du donateur). Elle n’aurait pour seul but que de créer un passif successoral et diminuer les droits de succession dus par le nu-propriétaire.

Dans un récent avis(8), le Comité de l’abus de droit fiscal (CADF) avait estimé que ces opérations, sous certaines conditions, n’étaient pas abusives dès lors que le donateur disposait de la somme d’argent, objet de la donation, dans son patrimoine au jour de la transmission(9).

Pour aller plus loin

Dans le cadre de l’examen de la loi de finances pour 2024, le gouvernement est venu conforter la position de l’administration fiscale et rejeter celle du CADF en insérant un nouvel article 774 bis dans le CGI. Ce dernier vient, en effet, limiter la déductibilité fiscale de la dette de restitution du nu-propriétaire dans le cadre d’une donation de sommes d’argent avec réserve de quasi-usufruit. La mesure a vocation à s’appliquer aux successions ouvertes à compter du 29 décembre 2023.

Tout d’abord, l’article prévoit que la créance de restitution, dans cette hypothèse, n’est pas déductible de l’actif successoral du défunt(10); ce qui entraine une augmentation de l’actif net imposable aux droits de succession pour le nu-propriétaire(11). Le texte précise également que l’imposition s’effectue en fonction du lien de parenté entre l’usufruitier et le nu-propriétaire. De plus, il exclut l’application du rappel fiscal des donations de moins de 15 ans(12) tout en permettant au nu-propriétaire de déduire les droits de donation déjà payés sur les droits de succession dus (sans toutefois pouvoir être restituables).

Ce nouvel article exclut de son champ d’application et maintient la déductibilité de la dette de restitution du quasi-usufruit résultant :

  • De l’usufruit légal(13) ou conventionnel du conjoint survivant
  • Du report du démembrement sur le prix de cession d’un bien préalablement démembré(14) à la condition que la dette de restitution n’ait pas été contractée dans un objectif principalement fiscal(15). Il appartiendra au contribuable de prouver que l’opération ne répond pas à cet objectif.

Impacts de la mesure dans les stratégies patrimoniales

La limitation de la déductibilité de la dette de restitution ne devrait pas s’appliquer, selon la doctrine, au quasi-usufruit issu du simple démembrement d’une clause bénéficiaire d’un contrat d’assurance-vie(16). Dans cette hypothèse, le quasi-usufruitier n’aurait effectivement pas eu la pleine propriété de ces capitaux décès et ne serait pas à l’origine de la réserve d’usufruit. En revanche, il conviendrait d’être attentif à la rédaction de toute clause en dehors de ce cas simple.

A ce jour, il subsiste des interrogations quant aux contours et modalités de mise en œuvre de cette nouvelle mesure rendant nécessaire la publication de commentaires par l’administration fiscale (BOFiP).

Achevé le 08/04/2024
Marine GILARD,
analyste patrimonial LCL Banque Privée Ouest

1) Loi n° 2023-1322 du 29 décembre 2023 de finances pour 2024

2) Article 587 du Code civil

3) Le futur droit de propriété du nu-propriétaire est matérialisé par cette créance de restitution.

4) Article 1133 du Code général des impôts

5) Article 768 du Code général des impôts

6) Quote-part de la valeur de la pleine propriété variable en fonction de l’âge de l’usufruitier au jour de la donation.

7) Abus de droit par fictivité, article L 64 du Livres des Procédures Fiscales

8) CADF, avis, 11 mai 2023, n°2022-15

9) Au jour de la donation

10) Sans remettre en cause le fait qu’elle soit due civilement

11) Par dérogation au principe de neutralité fiscale de l’article 1133 du CGI

12) Article 784 du Code général des impôts

13) Article 757 du Code civil

14) Article 621 du Code civil

15) En effet, le quasi-usufruit n’a pas été constitué en première intention mais au moment de la cession du bien démembré.

16) Par exemple, hypothèse où l'usufruitier d’un contrat est le conjoint survivant d’un couple et les nus-propriétaires les enfants communs.