Le Pacte Dutreil et l’activité mixte : l’anéantissement des critères administratifs
(CE, 8e et 3e ch., 23 janv. 2020, n°435562)
Les parts ou actions de société faisant l’objet d’un engagement collectif de conservation communément appelé « Pacte Dutreil », peuvent bénéficier, sous certaines conditions, pour le calcul des droits de donation ou succession, d’une exonération de 75% de leur valeur.
En principe, cette exonération est subordonnée à :
- Un engagement collectif de conservation, pris par le chef d’entreprise pour lui et ses donataires ou héritiers, pour une durée minimum de deux ans à compter de l’enregistrement de l’acte.
- Un engagement individuel de conservation des titres reçus par donation ou succession par le donataire ou l’héritier pendant une durée de quatre ans à compter de la fin de l’engagement collectif.
- L’exercice d’une fonction de direction au sein de la société par l’un des associés signataire de l’engagement collectif, par le donataire ou par l’héritier, pendant la durée de cet engagement et les trois années qui suivent la transmission.
Des conditions particulières permettant de bénéficier plus facilement du Pacte Dutreil ont également été mises en place au travers de l’engagement collectif réputé acquis et de l’engagement collectif post mortem.
De plus, pour bénéficier de ce dispositif prévu à l’article 787 B du Code Général des Impôts (CGI), la société doit avoir une activité opérationnelle c’est-à-dire industrielle, commerciale, artisanale, agricole, ou libérale (ou être une holding animatrice). Néanmoins, il n’est pas exigé que la société exerce exclusivement ces activités. En effet, il est admis qu’une société ayant une activité mixte (une activité opérationnelle et une activité civile), puisse bénéficier de ce régime de faveur si l’activité opérationnelle est prépondérante.
Mais comment s’apprécie la prépondérance d’une activité ?
Pour rappel, le législateur, lors de l’adoption de la loi de finances pour 2000 qui a institué le Pacte Dutreil, n’avait pas clairement envisagé les modalités d’application de ce régime d’exonération aux sociétés exerçant une activité mixte.
L’Administration dans une réponse ministérielle Bobe (Rép. Min. n°94047) avait indiqué que « le bénéfice du régime de faveur ne pourra pas être refusé aux parts et actions d’une société qui exerce à la fois une activité civile (…), et une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale dans la mesure où cette activité civile n’est pas prépondérante ».
Le Bulletin Officiel des Finances Publiques (BOFiP) a repris cette position en précisant que la prépondérance d’une activité opérationnelle s’appréciait au regard de deux critères cumulatifs « que sont le chiffre d’affaires procuré par cette activité (au moins 50% du total du chiffre d’affaires) et le montant de l’actif brut immobilisé (au moins 50% du total de l’actif brut) » (BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10 § 20)
C’est sur l’application de cette doctrine administrative que le Conseil d’Etat (CE) a été saisi à la suite d’un litige opposant des contribuables et l’Administration fiscale.
En l’espèce, des époux qui détenaient ensemble une Société par Actions Simplifiée (SAS), avaient conclu en 2019, devant notaire, un engagement collectif de conservation des droits sociaux. Ce Pacte avait pour objectif que leurs enfants bénéficient des dispositions de l’article 787 B en cas de transfert des droits par donation ou succession.
Dans l’acte, les époux avaient mentionné que la société exerçait à titre principal une activité commerciale. Cette activité consistait en l’achat de biens immobiliers en vue de leur revente ; activité communément nommée marchands de biens. Parallèlement, la SAS exerçait une activité civile de location d’immeuble. La société exerçait donc une activité mixte.
Pour rappel, les immeubles acquis par des marchands de biens constituent un élément de l’actif brut qui doit être comptabilisé en stock et non en actif immobilisé, selon les règles du Plan Comptable Général.
Au regard de ces éléments, l’actif immobilisé affecté à l’activité éligible représentait moins de 50 % de l’actif brut total. Ainsi, les époux ne répondaient pas à l’un des ratios énoncés dans le BOFiP et ne pouvaient donc prétendre à l’application du régime de faveur instauré par le Pacte Dutreil.
C’est pourquoi, ils ont effectué un recours pour excès de pouvoir demandant l’annulation des critères administratifs précités. Ce recours contentieux permet l’annulation d’une décision administrative considérée comme illégale.
Dans son arrêt rendu le 23 janvier 2020, le Conseil d’Etat a annulé pour excès de pouvoir les commentaires de la doctrine administrative, jugés comme méconnaissant le sens et la portée de l’article 787 B du CGI. Il a jugé que la prépondérance d’une activité doit s’apprécier en considérant un faisceau d’indices selon la nature de l’activité et les conditions de son exercice. Cela peut nous laisser penser qu’il sera possible de prendre en considération tout élément pertinent sans appliquer un ratio déterminé.
La décision d’annuler ces critères administratifs et de les remplacer par un faisceau d’indices s’accorde avec la réalité économique. En effet, le critère du ratio de l’actif brut immobilisé/actif brut total ne permettait pas d’apprécier de manière pertinente le caractère prépondérant de l’activité de la société et était inapproprié en l’espèce pour les marchands de biens.
Toutefois, reste à déterminer quels indices seront utilisés pour définir cette prépondérance. Il faudra donc attendre d’autres décisions de justice et les éventuels nouveaux commentaires de l’administration pour connaître ces précisions. Nous pouvons penser que le critère du chiffre d’affaires continuera d’être déterminant pour apprécier la valeur des activités éligibles et non éligibles. De même, l’étude du critère lié à l’actif immobilisé de la société ne peut être totalement évincée. Il sera certainement nécessaire de tenir compte de la valeur de la part de l’actif liée à l’activité opérationnelle par rapport à l’actif brut total.
Sans nul doute, ces décisions et nouveaux commentaires permettront d’apporter une plus grande sécurité fiscale aux contribuables.
Achevé de rédiger le 11 mars 2020
Aurélie Porge, Juriste-fiscaliste patrimonial LCL Banque Privée