Abus de droit par fraude à la loi

(Cass.com. 4 décembre 2019, n° 18.19969)

La procédure d’abus de droit fiscal prévue à l’article L 64 du Livre des procédures fiscales permet à l’administration d’écarter, comme ne lui étant pas opposables, les actes constitutifs d’un abus de droit afin d’en restituer le véritable caractère. Sont visés les actes ayant un caractère fictif (simulation) ou ceux ayant été motivés dans un but exclusivement fiscal (fraude à la loi).

Dans un arrêt rendu le 4 décembre 2019, la Cour de cassation a eu à se prononcer sur la qualification d’une opération d’apport d’usufruit temporaire à une société civile agricole comme constitutive ou non d’abus de droit.

En l’espèce, des époux avaient apporté l’usufruit d’un immeuble parisien à une société civile agricole (SCA) détenant un château. Ils réduisaient de ce fait l’imposition à l’ISF en ne détenant plus en direct que la nue-propriété de l’immeuble (les époux n’étaient alors imposables que sur la valeur des parts de la société civile détentrice d’un usufruit temporaire, à l’exclusion de la valeur de la nue-propriété de l’immeuble). L’apport initial de l’usufruit avait été réalisé en 1981 avant la création de l’ISF et avait ensuite fait l’objet de renouvellements pour des durées successives de 10 ans.

L’administration fiscale avait notifié une proposition de rectification au titre de l’ISF sur une prescription longue de 6 ans au motif qu’elle avait dû faire des recherches complémentaires pour découvrir la motivation réelle de l’opération. Elle avait considéré que ce montage avait un but exclusivement fiscal constitutif d’un abus de droit et qu’il y avait lieu de réintégrer la valeur en pleine propriété de l’immeuble dans l’assiette de l’ISF.

La Cour de cassation a confirmé l’arrêt de la Cour d’appel et le caractère abusif du montage. Selon la Haute juridiction, le recours à l’apport d’usufruit temporaire avait été inspiré par la recherche d’un objectif purement fiscal dès lors que l’opération avait permis à la SCA de disposer de ressources bien supérieures au besoin de financement généré par l’entretien et la restauration d’un château détenu par elle. Au regard des revenus des redevables, ces travaux auraient pu être financés directement par eux sans qu’il soit nécessaire de procéder à l’apport en usufruit du bien. En outre, la Cour relève que les contribuables s’étaient réservé la jouissance gratuite de deux appartements dans l’immeuble ainsi qu’un  3ème appartement pour leur fille à titre de résidence principale. L’apport de l’usufruit à la société civile avec renouvellement successif avait eu, selon la Cour, pour seul objectif le bénéfice d’une application littérale des textes à l’encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs afin d’atténuer de manière très sensible les charges fiscales.

Pour rappel, avant 2013, l’apport d’usufruit temporaire d’un immeuble était imposable selon le régime des plus-values immobilières des particuliers ou des plus-values professionnelles.

Désormais, l’apport d’usufruit temporaire d’un bien immobilier est soumis à une fiscalité plus lourde dès lors que le produit de la 1ère cession à titre onéreux (apport à société, échange, vente…) d’un usufruit temporaire est imposé dans la catégorie des revenus à laquelle se rattache celui procuré ou susceptible d’être procuré par le bien ou le droit sur lequel porte l’usufruit temporaire cédé (article 13-5 du Code général des impôts).

Ainsi, par exemple, en cas d’apport d’usufruit temporaire d’un immeuble loué nu, la valeur d’apport sera imposable dans la catégorie des revenus fonciers (IR barème et prélèvements sociaux). Ce régime de taxation dissuasif a vocation à faire échec aux schémas d’optimisation fiscale qui permettaient avant 2013 de bénéficier d’un régime d’imposition des plus-values notamment immobilières plus avantageux que celui des revenus annuels procurés par le bien.

Aussi, les opérations qui auparavant étaient appréciées sous le seul prisme de l’abus de droit exclusivement fiscal (article L 64 du LPF) doivent être regardées désormais de manière plus attentive.

En effet, la loi de finances pour 2019 a créé une nouvelle procédure d’abus de droit à motif principalement fiscal communément appelé « mini abus de droit ». L’administration peut donc aussi fonder ses redressements en requalifiant des schémas sur l’existence d’un montage ayant un but principalement fiscal sans application automatique de majorations (nouvel art. L 64 A du Livre des procédures fiscales). Sont concernées les rectifications notifiées à compter du 1er janvier 2021 portant sur des actes passés à compter du 1er janvier 2020.

Les commentaires sur le « mini-abus de droit » viennent d’être publiés (BOI-CF-IOR-30-20). La mise en œuvre de cette procédure requiert d’une part, l’utilisation littérale d’un texte fiscal à l’encontre des intentions de son auteur et, d’autre part, la volonté principale d’éluder ou d’atténuer les charges fiscales. Selon l’administration fiscale, la notion de « motif principal » est plus large que celle du « but exclusivement fiscal ». En revanche, lorsqu’il existe une disposition légale qui prévoit un avantage fiscal, la procédure ne serait pas applicable à une telle opération sauf en cas de détournement manifeste du dispositif fiscal.

Le recours à un conseil (avocat, notaire,…) aujourd’hui est d’autant plus nécessaire qu’hier afin d’évaluer l’ensemble des motivations et objectifs principaux des opérations envisagées (effets patrimoniaux, économiques…).

Par ailleurs, les contribuables qui souhaitent recueillir l’avis de l’administration, avant d’engager toutes opérations, pourront toujours recourir au rescrit « abus de droit » (article L 64 B du Livre des procédures fiscales).

Représentation en ligne collatérale

(Cass : 1ère civ. 3 octobre 2019, n° 18-18.736, n° 18-18.737 II et n° 18-18.738 I)

Grâce à la représentation, un héritier de degré plus éloigné (le représentant) est appelé à la succession et y exerce les droits d’un héritier prédécédé de degré plus proche (le représenté) en application de l’article 751 du Code civil. Le mécanisme de représentation successorale est une fiction juridique destinée à assurer l’égalité entre les souches. Les héritiers qui viennent par représentation de leur auteur constituent une « souche ».

Au plan juridique, la représentation peut jouer en cas de prédécès d’un héritier mais également en cas de renonciation à une succession afin de favoriser les transmissions au profit des petits-enfants notamment. La représentation suppose l’existence d’une pluralité de souches. Ainsi, en ligne collatérale, en cas de prédécès d’un frère ou d’une sœur du défunt, le neveu ou la nièce peut concourir avec son oncle ou sa tante (article 752-2 du Code civil).

Outre l’aspect civil de la représentation, la question se pose également au plan fiscal dès lors que le barème des droits de succession dépend du degré de parenté avec le défunt.

La Cour de cassation a été saisie d’un litige fiscal concernant une succession en présence de collatéraux privilégiés. En l’espèce, la sœur d’un défunt avait renoncé à la succession de ce dernier. Le fils ainsi que les enfants du second fils prédécédé de la sœur renonçante étaient venus à la succession en se prévalant du barème fiscal applicable entre frères et sœurs (à savoir abattement de 15 932 euros, taxation à 35% jusqu’à 24 430 euros d’actif net imposable par héritier et 45% au-delà) plus favorable que celui applicable aux neveux et nièces (abattement de 7 967 euros et taxation à 55%). L’administration fiscale avait contesté le bénéfice de ce barème fiscal conformément à ses commentaires publiés au BOFIP (BOI-ENR-DMTG-10-50-80 n° 330 cf. Rép. Min.Candelier n° 54899 JOAN du 26 janvier 2010).

Contrairement aux juges de 1ère instance qui avaient donné raison à l’administration fiscale,  la Cour d’Appel de Paris avait considéré qu’il était permis de tenir compte de l’abattement et du barème applicables en fonction du lien de parenté existant entre le défunt et la personne représentée.

La Cour de cassation a censuré la Cour d’Appel de Paris en considérant qu’en l’absence de frères ou sœurs du défunt, les neveux et nièces venaient de leur propre chef à la succession. Le barème fiscal applicable entre frères et sœurs ne pouvait pas s’appliquer aux neveux et nièces. Dans plusieurs arrêts rendus le même jour, la Cour de cassation a rappelé au préalable qu’au plan civil, la représentation ne pouvait jouer qu’en présence d’une pluralité de souches.

Ces arrêts confirment la jurisprudence rendue antérieurement (Cass.1ère chambre civile, 14 mars 2018 n° 17-14.583) ainsi que la doctrine administrative publiée au BOFIP.

Il en résulte donc une différence de traitement fiscal en présence d’une seule souche pour laquelle il est admis en ligne directe l’application possible de l’abattement et du barème parent/enfant (BOI-ENR-DMTG-10-50-20 n° 50 et BOI-ENR-DMTG-10-50-80 n° 330) alors qu’en ligne collatérale, l’application de l’abattement et du barème frère/sœur est exclue. Dans une réponse ministérielle du 10 décembre 2019 (Rép. Min. Cubertafon, n° 22247, JO du 10 décembre 2019), la question de ce traitement fiscal inéquitable avait été soulevée. Le ministre avait confirmé que la tolérance fiscale admise en cas de transmission en ligne directe en présence d’une seule souche n’était pas applicable aux neveux/nièces.

Pour favoriser une transmission entre neveux/nièces, l’assurance-vie alimentée par des primes versées avant 70 ans est à privilégier car elle permet de réduire le coût fiscal avec l’application d’un abattement de 152 500 euros par bénéficiaire et, au-delà, une taxation à un taux d’imposition allant de 20% à 31,25% au plus. En outre, en l’absence de descendant en ligne directe, il est également possible de consentir un don familial de sommes d’argent avant 80 ans à des neveux/nièces majeurs avec le bénéfice d’un abattement de 31 865 euros.

ISF et détention de la résidence principale par une SCI

(Décision du Conseil constitutionnel n° 2019-820 du 17 janvier 2020)

Depuis le 1er janvier 2018, l’impôt sur la fortune immobilière (IFI) a remplacé l’impôt sur la fortune (ISF) avec un même seuil d’imposition fixé à 1 300 000 € de patrimoine net imposable. L’IFI s’applique donc désormais aux seuls biens et droits immobiliers mais également aux parts ou actions de société pour leur fraction représentative de tels biens ou droits.

S’agissant de l’évaluation du patrimoine imposable, celle-ci est basée sur la valeur vénale des actifs au 1er janvier de l’année d’imposition considérée. En ce qui concerne plus particulièrement la résidence principale, elle bénéficie d’un abattement légal de 30% sur sa valeur vénale (article 973 alinéa 2 du Code général des impôts). Corrélativement, les dettes afférentes à la résidence principale sont déductibles dans la limite globale de la valeur imposable, à savoir 70% de la valeur vénale du bien. Lorsque la résidence principale est détenue par l’intermédiaire d’une société civile immobilière, l’administration fiscale a écarté expressément pour l’ancien ISF et également pour l’IFI l’application de cet abattement de 30% (version antérieure du BOI-PAT-ISF-30-50-10 n° 120 et BOI-PAT-IFI-20-30-20 n° 50).

C’est à l’occasion d’un litige soumis à la chambre commerciale de la Cour de Cassation que cette dernière a saisi le Conseil constitutionnel le 17 octobre 2019 d’une question prioritaire de constitutionnalité. Il s’agissait de déterminer si, l’abattement de 30% prévu en matière d’ISF, réservé au cas de détention directe d’une résidence principale, était conforme aux principes constitutionnels d’égalité devant la loi fiscale et devant les charges publiques (ancien article 885 S alinéa 2 du Code général des impôts). 

Dans une décision en date du 17 janvier 2020, le Conseil constitutionnel a déclaré la disposition légale conforme à la Constitution en considérant que le législateur avait institué une différence de traitement fondée sur une différence de situation. Ainsi, il a fait valoir que les associés d’une SCI ne disposaient pas des droits attachés directement à la qualité de propriétaire de la résidence principale. De plus, le Conseil constitutionnel a précisé que « la valeur des parts détenues au sein de la société civile immobilière ne se confond pas nécessairement avec celles des immeubles lui appartenant. Elle peut donc faire l’objet de règles d’évaluation spécifiques ».

Cette position du Conseil constitutionnel rendue dans le cadre de l’ancien ISF serait transposable à l’IFI.

Par ailleurs, à l’époque de l’ISF, l’administration fiscale admettait par tolérance que certaines décotes puissent être appliquées du fait de l’illiquidité des parts d’une SCI familiale. En effet, ces parts  peuvent être plus difficiles à céder qu’un bien immobilier détenu en direct. Cette tolérance devrait en principe également continuer à s’appliquer en matière d’IFI.

Outre les conséquences fiscales au regard de l’IFI, la décision de détenir la résidence principale dans une SCI familiale doit également s’envisager au regard de ses aspects juridiques. Le recours à la SCI peut notamment permettre de protéger un concubin qui, à la différence des époux mariés, ne dispose pas légalement d’une protection sur le logement principal ou de l’améliorer pour un partenaire de PACS. En outre, la SCI peut répondre à des problématiques de transmission aux enfants afin d’éviter l’indivision au décès des parents, favoriser la gestion en aménageant les statuts au profit du ou des gérants, réaliser une donation des parts sociales….  

Achevé de rédiger le 10 février 2020