Casquette vissée sur la tête, l’ado fait défiler des heures durant le fil de son journal Facebook sur son iPhone tout en snapchattant et whatsapant, l’œil glauque alternant paresseusement avec la télévision branchée sur un reality show d’une bêtise crasse. Les amoureux installés en terrasse préfèrent pianoter sur leur smartphone respectif. Une famille se texte au sein de sa maison, chacun enfermé dans sa chambre… Complétez la liste.
Manque d’intérêt pour les relations sociales, activités solitaires, isolement, apathie, tous les symptômes d’un monde devenu schizoïde.
La question : ces comportements observés à domicile ou dans les lieux publics ont-ils leur prolongement dans le monde de l’entreprise ? Réponse hélas positive… Illustrations : les détenteurs d’une boîte e-mail vérifient son contenu 37 fois par heure (toutes les 90 secondes)(1) pendant que les cadres consacrent 5,5 heures par jour à consulter leur messagerie(2)

“Il n'y a de vraie création de richesse que dans l'échange et le partage.”

Moins utile, moins spontané

On ne se déplace plus, on ne téléphone plus, on envoie des mails à des collègues. Tout en se méfiant du fait qu’un écrit restera éternellement dans la “matrice”. Bilan, on communique de moins en moins utilement, et de moins en moins spontanément. Les managements s’adaptent en repensant les conditions de travail. Open space, messageries “collaboratives” (sic !), logiciels permettant de partager des documents. Conséquences observées : écouteurs sur la tête, PC portable pour éviter de se connecter au réseau, écrans multiples, espaces de stockage personnels, pianotage incessant sur les smartphones qui annihile l’intérêt des réunions de travail.
C’est un fléau. Car il n’y a de la vraie création de richesse que dans l’échange et le partage. Le partage de la connaissance, d’abord. C’est gratuit, immédiatement exploitable et un facteur d’enrichissement collectif. “Le vrai pouvoir, c’est la connaissance” (Francis Bacon). Encore faut-il qu’elle soit commune et transmise. Ensuite le partage des doutes, des interrogations, des idées. Pouvoir sans crainte demander de l’aide et avouer ses limites. Voilà une vraie vertu. En gros, faire le contraire de ce que le système éducatif nous a appris en nous obligeant à travailler individuellement et en nous empêchant de “partager notre copie” jusqu’à 18 ans, en stigmatisant l’ignorance et l’échec, tout en nous encourageant timidement dans les études supérieures à travailler en équipe…

Organiser pour créer la culture

Concrètement, dans notre métier d’investisseur, ces éléments d’organisation interne des entreprises que nous accompagnons sont essentiels lors de nos due diligences. C’est l’organisation qui crée la culture d’une entreprise et non le contraire. Et c’est la culture d’une entreprise qui l’amène à se mouvoir avec agilité et efficacité dans un environnement concurrentiel de plus en plus imprévisible. Repensez sans cesse vos méthodes de travail, faites réagir vos salariés sur ces sujets. Ils sont aux premières lignes de ces préoccupations car pour être heureux au travail, il faut tout simplement avoir plus à y gagner qu’à y perdre. Et rester rivé à sa messagerie n’est pas source de bonheur.

La leçon du “King”

Dans un ovni musical sorti en 1969, le “King” du rock progressif – le groupe King Crimson, NDLR – annonçait déjà que l’homme du futur siècle serait schizoïde en 7’ 21” de textures et sonorités jamais entendues auparavant, sur un tempo survitaminé, introduction anxiogène, riff éruptant avec saxophones imitant cris humains, chant saturé comme sortant d’un mégaphone, paroles prémonitoires (Death seed blind man’s greed/Poets' starving children bleed/Nothing he’s got he really needs/21st century…) et, surtout, une section rythmique basse/batterie qui démarre dans le rouge et y reste tout du long avec l’apothéose à trois voix où guitare, basse et batterie jouent à l’unisson à 200 km/h. Écoutez sur une bonne chaîne ou avec un bon casque, ça en vaut la peine. Schizoïde ? Non. Juste schizophrénique.

(1) Source Gulf Business
(2) Source Adobe Study