“Oui, bien sûr, le vin peut être un placement… Mais c’est d’abord un produit de plaisir, il faut mieux le boire !” Pourtant, lors la crise de 2008, certains ont bien cru trouver dans “l’or rouge” un actif solide et refuge. En 2013, des professeurs de finance ont même calculé dans une étude(1) un rendement moyen annuel réel de 5,3 % entre le début du XXe siècle et 2012 pour les vins de Bordeaux. Bien mieux que l’art ou les obligations d’État, finalement. “Je ne suis pas sûr que ce soit valable sur les dernières années. Les 2010, par exemple, ont plongé et les prix des bordeaux sont stables aujourd’hui.”

Spéculations bordelaises

Il est vrai que la performance est venue sur le tard. “Dans les années 60, les vins ne valaient rien, la hausse des prix date des années 80 et 90. Le négoce avait pris l’habitude de vendre et de marger sur les plus grands vins. La demande internationale, l’attrait, l’image, ont commencé à faire bouger les choses… Et les propriétés ont elles aussi voulu prendre leur marge. Tout cela a contribué à la montée des prix. Sans compter le facteur humain… Entre deux crus classés de même rang, la tentation était forte de vendre un peu plus cher que le voisin !” Voilà comment les prix bordelais ont grimpé de façon un peu artificielle, phénomène amplifié par la propension locale à construire de grands chais… et à constituer de grands stocks !

Stars et millésimes

“Après le bordeaux, les spéculateurs ont découvert le bourgogne… Un vignoble bien plus petit, avec des volumes bien plus faibles et donc, des prix qui ont vite grimpé. Aujourd’hui, les bourgognes valent plus cher que les bordeaux.” De fait, les investisseurs amateurs ont dû passer la main : “L’époque du notable de province qui achetait une caisse de grands crus et en revendait la moitié l’année suivante pour financer un nouvel achat est bien révolue.” Si bourgognes et bordeaux deviennent inaccessibles ou déraisonnables, Il n’est pas forcément judicieux d’espérer tirer profit d’autres appellations. “Ou ponctuellement, mais ce sont des cas d’espèce. Certains châteauneuf-du-pape par exemple… Je suis aussi enchanté de voir que les prix des vins jaunes montent parce que les Jurassiens se donnent vraiment du mal. Mais de là à spéculer… Mieux vaut les déguster avec un comté !”

“L’époque du notable de province qui achetait une caisse de grands crus et en revendait la moitié l’année suivante pour financer un nouvel achat est bien révolue.”

Mise en garde

La valorisation d’une bouteille étant une question de temps, on évitera en tout état de cause de s’encombrer de vins sans potentiel de garde. “Finalement, la spéculation ne vaut que sur les vraies stars et sur les années qui en valent la peine. C’est bien pour ça que tout le monde se précipite sur les grands millésimes.” Ou du moins ce qui est annoncé comme tel. Le marché du vin est particulièrement sensible aux avis, forcément partiaux, de quelques gourous planétaires comme le fut fameux dégustateur américain Robert Parker. Ce qui contribue à le rendre artificiel et erratique.

Fonds de bouteilles

Nous voilà donc face à un placement qui ne concerne en rien les pères de famille. Faute de sérieuses connaissances, il faudra en effet s’en remettre à des officines ou des fonds spécialisés. “Il en existe en France, mais aussi beaucoup à l’étranger, en Angleterre ou à Hong Kong notamment, qui jouent la carte de la spéculation en achetant en primeur sur papier.” L’AMF attire d’ailleurs régulièrement l’attention des investisseurs sur le caractère très risqué des produits qui ont fleuri depuis une dizaine d’années. Mais se contenter de papier permet au moins de ne pas s’inquiéter de la conservation… Car le vin est un produit vivant et fragile qui ne supporte pas l’à peu près dans ce domaine. Lorsque l’on achète des bouteilles, l’aménagement et l’équipement de la cave sont des éléments à intégrer au calcul de rentabilité, autant que l’immobilisation du capital et l’assurance. On n’oubliera pas non plus que l’éventuelle rentabilité ne vaut que si l’on vend. “Il faut passer par un broker ou une salle des ventes. Certaines sont très capables d’estimer correctement la valeur d’une cave.” Mais l’expérience montre que ce ne sont pas les investisseurs qui gagnent : les plus belles affaires sont généralement le fait d’amateurs qui ont constitué leur cave par pure passion. “Ça peut fonctionner s’ils ont acheté bon marché, surtout s’ils ont eu la clairvoyance de préférer les magnums. Les gros contenants ont toujours la cote.”

Acheter… la propriété

Mais si le vin est si risqué, ne faut-il pas mieux investir dans un vignoble ? “Le foncier a beaucoup grimpé ces dernières années, en Bourgogne notamment. Mais on croise de plus en plus de gens qui se regroupent à quarante ou cinquante en GFA et confient leurs vignes à un vigneron. C’est amical et festif, cela permet de donner un coup de pouce à un professionnel et de recevoir quelques bouteilles chaque année en fonction de son apport. Là encore, on est plus dans une démarche plaisir que dans l’investissement. Aujourd’hui, la rentabilité d’un vignoble n’est envisageable que sur le très long terme.” Moralité ? “Quand on possède une œuvre d’art, on peut la regarder. Mais on ne profite jamais d’une bouteille destinée à être revendue. Et c’est franchement regrettable de ne pas savoir quel goût elle a.” Le meilleur débouché pour une bouteille, semble donc définitivement être le verre : à la vôtre !

(1) The Price of Wine, cahier de recherche d'HEC Paris, 2013, Christophe Spaenjers, Elroy Dimson et Peter Rousseau.

Lexique

- Achat en primeur : achat du vin en cours de vinification pour une livraison ultérieure.
- AMF : Autorité des marchés financiers.
- GFA : groupement foncier agricole.