Anticiper, c’est le moyen de s’assurer d’une dévolution adéquate de ses biens et d’en maîtriser la fiscalité. Pour autant, cette protection accrue ne peut être envisagée, en présence d’enfants, que dans le respect de leur réserve héréditaire, cette part dans la succession de leur auteur leur étant réservée. Plusieurs pistes de réflexion peuvent être envisagées, parfois de manière cumulative. Petit panorama de celles à évoquer avec son notaire, notamment en fonction de la composition de la famille(1). Ce dernier pourra également en évaluer le coût.

Protéger en adaptant son régime matrimonial

Protéger le conjoint commence par une étude du régime matrimonial. La séparation de biens permet la protection du patrimoine propre de chaque époux, chacun restant seul redevable de ses dettes propres. Souvent choisi pour des raisons d’activité professionnelle, ce régime n’offre qu’une protection restreinte au conjoint survivant, d’autant plus limitée si celui-ci ne détient pas lui-même de biens propres.

Ce sont les régimes dits de communauté qui permettront de constituer un actif commun. Au décès de l’un, l’autre récupérera sa moitié de communauté en pleine propriété et aura des droits sur l’autre moitié (et sur les biens propres du défunt), sauf dispositions contraires. Cette communauté peut être plus ou moins “large” :

  • une simple adjonction d’une société d’acquêts, sorte de poche commune, à une séparation de biens ;
  • un régime légal de communauté réduite aux acquêts où tous les biens acquis à titre onéreux par l’un ou l’autre des époux durant le mariage sont communs (sauf exceptions) ;
  • une communauté universelle, les conjoints mettant en commun la quasi-totalité de leurs biens présents et à venir, sans distinction quant à leur origine, leur nature ou la manière dont ils ont été financés.

Ces régimes peuvent être également complétés d’avantages matrimoniaux ayant pour finalité une répartition plus favorable au conjoint survivant. C’est le cas, par exemple, de la clause de préciput, permettant de prélever sur la communauté une certaine somme ou certains biens avant liquidation, ou de l’attribution intégrale de la communauté, qui permet au survivant de disposer de la totalité des biens figurant dans la communauté au décès du premier des époux.

Il faut noter qu’en cours d’union, et sous certaines conditions, il est possible de modifier n’importe quel régime matrimonial, qu’il soit communautaire ou séparatiste. Ces modifications peuvent ne porter que sur certaines de ses clauses pour l’adapter aux évolutions tant professionnelles que patrimoniales du couple. Le changement de régime matrimonial entraîne toutefois des frais divers : émoluments notariés, honoraires d’avocat, droit fixe et publicité foncière… Il peut également permettre d’alléger le volume des droits dus par les enfants au titre des successions de leurs parents, le conjoint survivant étant quant à lui exonéré de droits de succession. Par exemple, lorsqu’un patrimoine n’est pas concentré sur un seul des époux mais commun, chaque enfant bénéficie, sauf exception, d’un abattement personnel de 100 000 euros sur la part transmise par chacun de ses parents, les droits étant calculés sur l’excédent d’après un barème progressif.

Protéger en augmentant les droits successoraux

Protéger le conjoint nécessite également de mener une réflexion sur l’accroissement de ses droits successoraux. En présence d’enfants communs, le conjoint survivant pourra opter entre la totalité de la masse successorale du défunt en usufruit (les enfants étant alors nus-propriétaires) ou le quart en pleine propriété. En présence d’enfants du défunt et non communs au couple, plus d’option possible : le conjoint pourra recevoir le seul quart en pleine propriété. D’autre part, la loi accorde des droits au conjoint survivant concernant l’habitation et l’usage de la résidence principale et de ses meubles, consistant en :

  • un droit de jouissance gratuit et d’ordre public durant une année ;
  • un droit viager, sauf volonté contraire exprimée dans un testament authentique.

La donation entre époux (ou donation au dernier vivant) permet d’élargir, ou d’ouvrir, cette option. Le conjoint survivant pourrait ainsi choisir, sauf stipulation contraire, entre tout en usufruit, ou un quart en pleine propriété et trois-quarts en usufruit ou encore la quotité disponible ordinaire qui dépend du nombre d’enfants (soit la moitié, un tiers ou un quart des biens dépendant de la succession en pleine propriété, selon qu’il y ait un, deux ou trois enfants et plus).

Très souple, cette donation permet également au conjoint de limiter les droits à recevoir s’il s’avérait que son besoin de protection était finalement moindre. Il pourra limiter sa part à une partie des biens, ce cantonnement n’étant pas considéré comme une libéralité faite aux autres successibles dont la part augmentera de fait.

Protéger en transmettant un capital

Naturellement, lorsqu’est évoquée la transmission d’un capital, l’assurance-vie est très vite identifiée comme un placement à privilégier. Effectivement, en plus d’accéder à des compléments de revenus grâce à une fiscalité attractive des rachats, le contrat d’assurance-vie permet également d’organiser la transmission d’un capital à un ou des bénéficiaires désignés. Le conjoint peut faire partie de ces bénéficiaires : une bonne façon de lui transmettre des liquidités, afin de l’aider à mieux faire face à ses besoins (l’éducation des enfants par exemple) en plus de ses droits dans la succession.

En principe, son régime juridique est dérogatoire vis-à-vis des règles civiles successorales. Si le bénéficiaire de l’assurance-vie est désigné, le capital ne fait pas partie de la succession de l’assuré et n’est soumis ni aux règles du rapport à succession, ni à celles de la réduction pour atteinte à la réserve des héritiers du contractant. Toutefois, ce régime dérogatoire ne peut pas s’appliquer lorsque les primes versées sur le contrat sont “manifestement exagérées” eu égard aux facultés du souscripteur. Par ce biais, la fiscalité reste également intéressante pour le conjoint puisque, lorsqu’il est bénéficiaire, les capitaux décès sont exonérés.

Il peut également être envisagé de rédiger une clause bénéficiaire démembrée. Cette technique consiste à désigner comme bénéficiaires d’un contrat d’assurance-vie une personne pour l’usufruit, le conjoint survivant, et une ou plusieurs personnes pour la nue-propriété des capitaux, les enfants communs. L’usufruitier de cette somme d’argent, devenant de fait quasi-usufruitier, aura le droit de s’en servir[1] mais sera redevable d’une créance d’un même montant auprès des enfants.

À son décès, ces derniers, qui ont juridiquement une créance sur sa succession, obtiendront la somme représentative du contrat d’assurance-vie dénoué en franchise de droits de succession. Cette dette apparaîtra, sous certaines conditions[1], en passif de succession et viendra minorer l’actif net taxable aux droits de succession alors que l’actif successoral comprendra les biens acquis grâce au quasi-usufruit.

Sur le plan fiscal, pour rappel, et sauf pour le conjoint, lorsque les sommes sont versées par le souscripteur-assuré avant ses 70 ans, ils sont taxés, au-delà d’une exonération de 152 500 euros par bénéficiaire, à 20 % jusqu’à 700 000 euros, puis 31,25 % par bénéficiaire, tous contrats d’assurance-vie confondus. Ici, le quasi-usufruitier et les nus-propriétaires sont considérés comme bénéficiaires au prorata de la part leur revenant dans les capitaux décès. Celle-ci sera déterminée selon le barème fiscal de l’article 669 du CGI. L’abattement de 152 500 euros est quant à lui réparti entre eux dans les mêmes proportions[1]. Cette solution permet d’accompagner les besoins du conjoint survivant en lui laissant, par exemple, des pouvoirs plus étendus quant à l’utilisation de cette somme tout en préservant les droits des enfants. Mais elle n’est pas dénuée de risque : le quasi-usufruitier pourrait ne pas “laisser” d’actif successoral suffisant au paiement de la créance de restitution. L’accompagnement d’un notaire paraît alors plus que nécessaire (rédaction de la clause bénéficiaire, rédaction d’une convention de quasi-usufruit et conservation des documents). Il l’envisagera dans le cadre d’une approche globale et vérifiera que celle-ci répond à l’ensemble des objectifs patrimoniaux et financiers du couple (notamment eu égard à l’élargissement de la notion d’abus droit aux opérations à but principalement fiscal – article L64 A du LPF).

Afin de vous accompagner dans cette réflexion, nous vous recommandons de vous rapprocher de votre conseiller Banque Privée. Il pourra définir avec vous des orientations de placements en adéquation avec ces objectifs, accompagné des juristes-fiscalistes patrimoniaux Banque Privée qui pourront également revoir avec vous ces pistes de réflexion.

Achevé de rédiger le 30 juin 2020

(1) La présence d’enfants non communs au couple nécessitera une étude d’autant plus approfondie des pistes de réflexions évoquées et à la lumière de leur réserve héréditaire.
(2) Sous réserve des droits et obligations de chacun et des éventuelles dispositions prises en la matière.
(3) L’existence d’une convention de quasi usufruit ayant date certaine dès après le décès de l’assuré est indispensable à la prise en compte de cette dette au passif successoral. Elle permettrait également d’apporter des arguments à l’encontre de la présomption de fictivité de certains démembrements (article 751 du CGI).
(4) Ily a autant d’abattements de 152 500 euros que de couples « usufruitier/nu-propriétaire » et lorsqu’un des bénéficiaires mentionnés au contrat est exonéré (par exemple, le conjoint), la fraction d’abattement non utilisée par le bénéficiaire exonéré ne bénéficie pas aux autres.