Comment expliquer ce paradoxe ? L’hydrogène peut-il devenir le carburant d’une mobilité décarbonée et durable ? Ce dossier tente de faire le point sur cette technologie émergente et d’examiner comment elle peut s’avérer une solution performante pour tous les types de mobilités.

Le véhicule à hydrogène : comment ça marche ?

Avant de détailler le fonctionnement du véhicule à hydrogène, revenons sur la nature de ce gaz et les façons de le produire. L’atome d’hydrogène est l’élément chimique le plus simple, le plus abondant sur Terre et le plus ancien de l’Univers, apparu il y a 13 milliards d’années. L’hydrogène existe à l’état naturel sur Terre, retenu sous forme gazeuse dans des « pièges géologiques » formés par les différentes couches du sous-sol continental ou océanique. La découverte de gisements significatifs et exploitables est relativement récente mais son exploitation n’en est encore qu’à ses débuts, contrairement au gaz naturel et aux autres combustibles fossiles (pétrole, charbon…). En revanche, l’hydrogène est très répandu à l’état combiné dans de nombreuses substances, en particulier avec l’oxygène, avec lequel il constitue l’eau (H2O), et le carbone, avec lequel il constitue l’ensemble des hydrocarbures.

Le pouvoir calorifique massique de l’hydrogène est le plus élevé de tous les combustibles existants. A masse équivalente, il est deux à trois fois plus élevé que le pétrole ou le gaz naturel. A la différence des hydrocarbures, la combustion de l’hydrogène ne produit pas d’émissions de substances nocives, en particulier de gaz nuisibles pour le climat comme le CO2, mais aussi celles de gaz dangereux pour la santé comme les oxydes de carbone. Un véhicule à hydrogène ne produit que de la vapeur d’eau et de l’oxygène, en tout cas celui qui fonctionne avec une pile à combustible (PAC). En effet, il existe deux façons d’utiliser l’hydrogène pour faire tourner un moteur. La première est de l’utiliser en lieu et place de l’essence en le brûlant dans un moteur à combustion interne, comme c’est le cas des fusées de la NASA. Ces véhicules sont appelés HICEV (Hydrogen, Internal Combustion Engine Vehicle), une technique mise au point dès 1806 par l’inventeur suisse Isaac de Rivaz mais étrangement laissée de côté pendant deux siècles jusqu’au modèle Hydrogen 7 dont BMW vendra une centaine d’exemplaires dans les années 2000. La seconde consiste à utiliser une pile à combustible à hydrogène qui produit l’électricité nécessaire au fonctionnement du moteur électrique. L’abréviation courante pour ce type de véhicule à pile à combustible (PAC) est FCEV (Fuel Cell Electric Vehicle). 

La différente importante entre les FCEV et les autres véhicules purement électriques ou hybrides est que le véhicule à PAC hydrogène produit lui-même l’électricité dont il a besoin au lieu d’utiliser l’énergie d’une batterie intégrée. Dans la PAC, l’hydrogène des réservoirs réagit au contact de l’oxygène fourni par l’air ambiant dans une réaction chimique appelée électrolyse inversée qui produit uniquement de l’énergie électrique, de la chaleur et de l’eau, évacuée sous forme de vapeur par le pot d’échappement.

L’énergie électrique ainsi produite alimente d’une part le moteur électrique du véhicule et d’autre part charge une batterie qui sert lors des appels de charge par exemple à l’accélération. Cette batterie est nettement plus petite et plus légère qu’une batterie de véhicule électrique puisqu’elle est alimentée en continu par la pile à combustible. Ajoutons que les FCEV récupèrent l’énergie de freinage, ce qui transforme l’énergie cinétique du véhicule en énergie électrique stockée dans la batterie tampon.

L’hydrogène n’existant pas (ou peu) sous forme naturelle sur Terre, il doit être produit ou plutôt extrait des matières premières qui en contiennent en le dissociant des autres atomes avec lesquels il est combiné. Le dihydrogène (H2) peut ainsi être produit par plusieurs procédés chimiques ou thermiques. Le plus utilisé, notamment dans l’industrie, est le vaporeformage du gaz naturel, qui consiste à faire réagir du méthane et la vapeur d’eau à haute température (700°C) pour dissocier les atomes de carbone et donner un gaz de synthèse contenant du dihydrogène et du gaz carbonique.

Ce qui s’écrit ainsi : CH4 + H2O → CO + 3H2 puis CO + H2O → CO2 + H2

Ce procédé est très largement majoritaire dans la production actuelle de dihydrogène du fait de son faible coût (2€ le kg d’H2) et de sa simplicité. Il est cependant très polluant et génère beaucoup de gaz à effet de serre. Il en est de même pour la gazéification du charbon, qui consiste à brûler un composé solide (le plus souvent du charbon de bois) pour obtenir un gaz riche en hydrogène. Le seul procédé non polluant pour produire de l’hydrogène est l’électrolyse de l’eau, une réaction qui utilise un courant électrique pour casser les molécules d’eau et produire du dihydrogène et de l’oxygène.

L’avantage de ce dernier procédé est d’avoir une empreinte carbone très faible si on utilise une source d’électricité décarbonée ou bas carbone (renouvelable, nucléaire, biomasse, biométhane).

Selon la matière première employée et la source d’énergie utilisée, l’hydrogène sera considéré comme fossile, bas carbone ou renouvelable. L’inconvénient majeur du procédé par électrolyse est son prix, cinq fois plus élevé que celui du vaporeformage. Si bien que 95% de l’hydrogène produit dans le monde vient aujourd’hui de ressources fossiles. Cependant, fabriquer un kilo d’H2 avec cette technique produit 10 kg de CO2, soit 60 kg de CO2 émis pour un plein qui permet de faire 600 km. Inacceptable donc s’il s’agit de rendre nos véhicules propres. Une voie d’amélioration pourrait résider dans la capture et le stockage du CO2 émis par le vaporeformage du gaz naturel. Celui-ci peut être enfoui sous terre ou transformé en nouveaux produits tels que du plastique ou des matériaux de construction. Cet hydrogène bas carbone et sa technique d’extraction pourrait s’avérer une solution de transition acceptable, en attendant que les technologies d’électrolyse et de production d’énergie renouvelable soient suffisantes.

En effet, même si les procédés d’électrolyse de l’eau peuvent être considérées comme prêts au déploiement industriel, les recherches actuellement en cours laissent augurer des gains de rendement significatifs. Le CEA (Commissariat à l’énergie atomique) a découvert un procédé d’électrolyse à haute température (700°C) qui permettrait d’améliorer le rendement des électrolyseurs pour le porter à 90%. En Australie, les chercheurs de la Curtin University travaillent sur le catalyseur utilisé dans l’électrolyse. Au lieu du platine utilisé actuellement dans les électrodes, rare et très coûteux, ils ont mis au point un matériau fait de fer et de soufre, peu coûteux, dont le rendement serait meilleur que les catalyseurs les plus avancés et les plus coûteux du marché. En clair, ce nouveau matériau pourrait bien être demain la clé de l’hydrogène de masse et écologique. Signe des temps que les pouvoirs publics croient dans l’avenir de cet hydrogène propre : la trentaine de pays qui ont adopté depuis quelques années un « Plan Hydrogène ». La France n’est pas en reste avec son « Plan de déploiement de l’hydrogène pour la transition énergétique » de mai 2018 qui vise à verdir 10% de l’H2 en 2023 puis 20 à 40% en 2028. Au total, ce sont près de 10 Md€ qui devraient être investis par la France d’ici 2030. De son côté, la commissaire européenne aux Transports veut pour 2030 « une station au minimum tous les 150 km », avec l’objectif de faire circuler 60 000 camions à hydrogène sur les routes. 

Avantages et inconvénients du véhicule à hydrogène

La perspective de l’arrêt de la vente de véhicules à moteur thermique d’ici 2035 en Europe est une puissante incitation pour pouvoirs publics et constructeurs à accélérer la mise au point de moteurs alternatifs, principalement électriques. On l’a vu, le principe du moteur à hydrogène présente plusieurs avantages par rapport au moteur alimenté par une batterie électrique (BEV pour Battery Engine Vehicle).

Du point de vue de la conduite, une FCEV à pile à combustible offre le même confort de conduite qu’un BEV : la poussée instantanée, le débit linéaire, l’absence de saccades à la reprise et un confort de premier ordre avec aucun bruit de moteur.
La durée de chargement est un autre avantage. Suivant la station de charge et la capacité de la batterie et en dépit des progrès continus, il faut de 30 mn à plusieurs heures pour recharger la batterie d’un BEV, contre moins de 5 mn pour le FCEV. Concernant l’autonomie, net avantage au moteur à hydrogène puisqu’un réservoir plein permet environ 700 km d’autonomie. La Toyota Mirai, un des deux modèles actuellement disponibles sur le marché français, a même parcouru plus de 1000 km d’une traite en conduite économique. Pas étonnant de retrouver ce modèle dans la flotte francilienne de taxis Hype avec quelques centaines de véhicules qui circulent actuellement et donnent toute satisfaction.

Si le véhicule à hydrogène présente autant d’avantages pour l’utilisateur et pour l’environnement, comment se fait-il que son marché demeure confidentiel et que les constructeurs hésitent à développer de nouveaux modèles ? Le grand défaut de ces véhicules pour le moment réside dans les rares possibilités de faire le plein. Actuellement, les stations d’hydrogène sont très peu nombreuses. On en compte à peine une centaine en France alors que le réseau de bornes de chargement pour véhicules électriques atteint déjà plusieurs dizaines de milliers. De fait, une pompe à hydrogène coûte près d’un million d’euros, environ 20 fois plus qu’une borne de recharge électrique ultra-rapide à 350 kW. « S’agissant de moteur à hydrogène, nous sommes face à un problème du type poule et œuf, explique Axel Rücker, Program Manager Hydrogen Fuel Cell de BMW. Tant que le réseau de stations d’hydrogène sera si maigre, la faible demande de la part des clients ne permettra pas une production de série rentables de FCEV. Et tant que sur les routes, le véhicule à hydrogène sera aussi rare que le loup blanc, les exploitants ne seront pas pressés de développer leur réseau de pompes. » BMW s’apprête d’ailleurs à sortir son SUV iX-5 à hydrogène en 2023 mais seulement en petites séries. Pour faire avancer le développement de l’infrastructure, BMW s’est associé à des producteurs d’hydrogène et à des exploitants de stations-service au sein de l’initiative Clean Energy Partnership. Celle-ci vise 400 stations d’ici 2025, ce qui permettrait de faire rouler quelque 60 000 véhicules à hydrogène sur les routes allemandes.

Autre facteur qui explique la demande timide en véhicules à hydrogène : le prix. Les rares modèles de FCEV de classe moyenne à moyenne supérieure disponibles sur le marché, à savoir la Toyota Mirai et la Hyundai Nexo, coûtent près de 70 000 €, soit le double d’une voiture électrique ou hybride comparable. Ce prix élevé s’explique par l’absence d’industrialisation de la production et par le coût du platine utilisé dans la pile à combustible, même si la quantité nécessaire à baissé en quelques années. Une autre raison du prix élevé est la taille du FCEV. Le ou les réservoirs d’hydrogène prennent beaucoup de place, ce qui rend le véhicule forcément volumineux. D’où l’absence de petits modèles de FCEV, à la différence des voitures purement électriques. Outre le coût d’acquisition, les coûts d’exploitation jouent également un rôle important dans l’acceptation d’une technologie de motorisation. Actuellement, un kilo d’H2 coûte près de 10 € s’il provient d’une source d’énergie renouvelable ou bas carbone, mais sans taxes ni rentabilité. Ainsi, les coûts au kilomètre d’un véhicule à hydrogène sont donc actuellement près de deux fois plus élevés que ceux d’un véhicule électrique chargé à domicile. Axel Rücker estime cependant que ces coûts vont s’égaliser : « Si la demande d’hydrogène augmente, le prix au kilo devrait baisser à environ 5 euros d’ici 2030. » En intégrant les progrès récents dans le rendement des électrolyseurs, on parvient aujourd’hui à baisser le prix pour de l’hydrogène d’origine éolienne et stocké sur place autour de 6 € le kilo. Quoi qu’il en soit, l’hydrogène « vert » - issu d’une source d’énergie décarbonée -, même 2 à 3 fois moins cher, sera sans doute plus cher pour l’automobiliste que l’électricité stockée dans une batterie.

L’hydrogène peut-il devenir le carburant de la mobilité écologique et durable ?

L’idéal écologique serait un véhicule qui ne roule qu’avec des énergies renouvelables sans produire d’émissions nocives. Le véhicule hydrogène ne rejette aucun polluant dans l’atmosphère sinon de la vapeur d’eau. Concernant ses conséquences sur le climat, elles dépendent des conditions de la production d’hydrogène. Si l’électricité utilisée dans le processus d’électrolyse provient d’énergies renouvelables, le bilan climatique sera neutre. Si en revanche le courant provient d’énergies fossiles, le bilan sera négatif. Tout dépend donc du mix électrique utilisé, de ce point de vue, le véhicule hydrogène ne se différencie pas des véhicules électriques à batterie. 

L’utilisation de l’hydrogène comme vecteur énergétique implique plusieurs étapes : la production d’H2, le stockage, le transport, la distribution et la reconversion de l’énergie stockée en électricité. Or un inconvénient de la fabrication d’hydrogène provient des pertes lors de l’électrolyse. Lors de l’électrolyse industrielle, il faut un litre d’eau et 5 kWh d’électricité pour produire 1000 litres de dihydrogène. Compte-tenu de la très faible densité volumique d’H2, il faut comprimer ce gaz à 700 bars avant que la pile à combustible puisse restituer de l’électricité, cette dernière ayant un rendement de 60%. De fait, le rendement énergétique global, « de l’électricité utilisée à la roue » atteint à peine 30%, soit un rendement inférieur de moitié à celui d’un véhicule électrique à batterie.

Concernant le transport et le stockage, la tendance est à l’hydrogène liquide, plus facile à acheminer et à stocker. Cette opération est cependant plus complexe et nécessite plus d’énergie que l’essence ou le diesel, en tout cas pour le moment. Les sceptiques sur l'avenir de l’hydrogène avancent souvent que pour obtenir l’équivalent énergétique d’un camion-citerne d’essence, il faut 22 camions identiques d’H2 en bonbonnes à 200 bars ou 3 camions-citernes d’hydrogène liquéfié. Le problème est le même si l’on imagine un réseau de gazoducs qui nécessite de comprimer le gaz avant de l’injecter dans le réseau, ce qui entraîne une dépense beaucoup plus importante pour l’hydrogène que pour le méthane.

Toutefois, contrairement aux combustibles fossiles, l’hydrogène peut être produit partout où du courant et de l’eau sont disponibles, théoriquement donc juste à côté des stations-service. De fait, d’un point économique et écologique, la seule solution durable est la production d’hydrogène in situ. Les stations du réseau Uno-X en Norvège et au Danemark vendent ainsi le kilo d’hydrogène renouvelable aux alentours de 10 € le kilo, mais sans taxes et avec une rentabilité nulle, soit plus cher que l’électricité la plus chère du monde…

Si l’avenir de l’hydrogène comme carburant écologiquement correct de la voiture de M. Tout-le-monde reste incertain, son usage comme vecteur efficace de stockage des énergies renouvelables recèle un potentiel immense. En effet, le problème de l’électricité solaire ou éolienne est qu’elle n’est pas forcément disponible quand on en a besoin et inversement. Or, les progrès des électrolyseurs, et notamment la mise au point par le CEA-Liten (Laboratoire d’innovation pour les technologies des énergies nouvelles et des nanomatériaux) d’un système à haute température dont le rendement atteint 90%, permettrait d’abaisser le coût de l’hydrogène renouvelable entre 6 et 8 € le kilo. Un calcul valable en considérant que l’énergie de départ est excédentaire, c’est-à-dire gratuite. De fait, l’hydrogène apparaît comme un moyen efficace de stocker massivement et sur de longues durées l’électricité intermittente, éolienne ou solaire par exemple, qui serait perdue sinon

La jeune société nantaise Lhyfe va ainsi tester en mer, à 20 km des côtes de Loire-Atlantique, une éolienne flottante reliée à un électrolyseur sur une plate-forme elle-même flottante, l’hydrogène étant acheminé à terre par des gazoducs. Une première mondiale qui est un véritable défi pour traiter, dans des conditions marines difficiles, les problèmes de dessalement de l’eau de mer, de corrosion et de fonctionnement de la plateforme en milieu isolé. L’hydrogène en mer pourrait représenter 3GW d’ici 2030, soit l’équivalent de trois réacteurs nucléaires.

Le véritable enjeu de l’hydrogène est ainsi la production locale d’énergie. Stocker l’électricité sous forme d’hydrogène facilite donc cette production locale, quel que soit le moyen de production. La question du transport d’H2 devient donc secondaire par rapport à celle de la production locale d’énergie et de son stockage sur place. On rejoint ici une problématique majeure de la transition énergétique et environnementale à laquelle l’hydrogène peut apporter une solution. A mesure que les modes de production de l’électricité renouvelable prennent de l’importance, et que le système énergétique évolue d’une production centralisée gérée par la demande vers une production décentralisée de plus en plus dépendante des énergies renouvelables, le besoin de stocker de grandes quantités d’électricité de manière fiable, économique et souple devient incontournable. L’hydrogène peut ainsi offrir aux réseaux électriques et gaziers la flexibilité dont ils ont besoin, en stockant sous forme d’H2 liquide ou gazeux l’électricité générée par les énergies renouvelables intermittentes. On peut même utiliser l’hydrogène ainsi produit pour l’injecter dans le réseau de distribution de gaz naturel dans une certaine proportion pour constituer un nouveau gaz combustible. L’hydrogène permet ainsi d’établir des passerelles entre les réseaux électriques et gaziers (« Power-to-gas ») en optimisant le système électrique dans son ensemble.

Enfin, il convient d’aborder le problème de la sécurité des véhicules à hydrogène compte-tenu du caractère très inflammable de ce gaz. Les réservoirs sont réalisés en matériaux composites particulièrement résistants. Ils subissent des tests draconiens avant d’être homologués, incluant parfois des tirs à la mitrailleuse. Leur comportement est observé lors de tests de collisions et d’incendies plus poussés qu’avec des véhicules thermiques classiques. Si bien que les voitures à PAC hydrogène sont potentiellement bien moins dangereux que les modèles équivalents à essence. En cas d’alerte de fuite, les détecteurs d’hydrogène répartis dans le véhicule actionnent l’électrovanne qui coupe l’arrivée en gaz, la PAC s’arrête alors de fonctionner et une ventilation va se charger d’expulser l’hydrogène éventuellement présent à bord. 

Quel potentiel pour la mobilité hydrogène à l’horizon 2030 ?

Précisons d’abord que l’hydrogène peut s’adapter à tous les types de mobilités : routières (vélos, berlines, utilitaires légers, camions, bus), ferroviaires (trains), maritimes et fluviales (barges, cargos, ferries,…), et aérienne (avions de tourisme et bientôt avions de ligne) mais aussi pour des engins spéciaux (chariots élévateurs, engins de chantiers, engins miniers, etc…). Dès maintenant, l’hydrogène peut être utilisé comme source d’énergie privilégiée pour la mobilité décarbonée sur de longues distances, pour des véhicules lourds ou des usages intensifs.  En fait, l’hydrogène offre des solutions particulièrement performantes pour tous les types de véhicules qui nécessitent une grande puissance motrice, une large autonomie ou encore une utilisation intensive. C’est le cas du transport collectif de personnes, du transport de marchandises ou de la collecte d’ordures ménagères par exemple. L’Allemagne vient ainsi d’inaugurer une flotte de 14 trains 100% hydrogène, une première mondiale. Élaborée par le français Alstom, cette technologie est la piste privilégiée pour réduire les émissions de CO2 et remplacer les trains fonctionnant au diesel, surtout dans les petites lignes régionales où le coût d’une transition vers l’électrique est trop élevé par rapport à la rentabilité de la liaison. Actuellement, un train régional sur deux en Europe fonctionne au diesel. La France a d’ailleurs commandé l’année dernière 14 rames à Alstom pour équiper des lignes régionales.

Les transports longue distance comme les trains ou les navires ont des besoins importants en énergie électrique, qui doit pouvoir être stockée et transportée pour parcourir des milliers de kilomètres. L’hydrogène devient intéressant lorsque les solutions batteries ne répondent pas à l’usage ou aux contraintes telles que le temps de recharge, l’autonomie ou la charge utile. On peut également mentionner les solutions mixtes de véhicules qui associent une batterie électrique et une pile à combustible à hydrogène qui joue alors le rôle de prolongateur d’autonomie et double ainsi l’autonomie du véhicule électrique. Cependant, nombreux sont les experts qui estiment ainsi que l’hydrogène n’a pas beaucoup d’avenir pour les voitures de particuliers, contrairement aux professionnels. Renault et Stellantis proposent d’ailleurs des véhicules à hydrogène utilitaires légers dans leur gamme mais aucune voiture particulière. De fait, l’hydrogène apparaît comme un choix logique par rapport à l’électrique pour les utilitaires. Plus besoin d’embarquer de lourdes batteries qui amputent la charge utile maximale et le plein est fait en quelques minutes au lieu de plusieurs heures. De plus, les entreprises peuvent se doter de leur propre station de fabrication d’hydrogène pour leurs flottes captives via un électrolyseur dont les prix devraient continuer à baisser. Cette logique vaut aussi pour les bus et surtout pour les camions où l’hydrogène est encore plus apprécié et développé par des marques telles que Toyota, Hyundai, Daimler ou Hyzon.

Comme l’Allemagne, la France a fait de l’hydrogène un axe prioritaire d’investissement avec le lancement en 2020 de la Stratégie nationale pour le développement de l’hydrogène décarboné qui en fait une industrie stratégique avec 7,2 Md€ d'investissements d’ici 2030. Un soutien de l’État renforcé par le plan France 2030 qui dote la filière de 2 Md€ supplémentaires destinés à soutenir les projets de gigafactories d’équipements clés comme les électrolyseurs, les PAC et les réservoirs. Quant à elle, l’Europe encourage la filière en soutenant 15 projets français pour un budget d’1,5 Md€. Plus récemment, le Plan RePower EU double les objectifs sur l’hydrogène renouvelable produit en Europe et importé. L’hydrogène apparaît donc comme un vecteur énergétique pouvant répondre aux enjeux de décarbonation et de souveraineté énergétique.

Quelque chiffre sur le potentiel de la mobilité hydrogène décrit dans le scénario français Ambitions 2030, soit d’ici la fin de décennie :

  • 1000 à 1700 stations hydrogène
  • 300 000 à 450 000 véhicules légers
  • 5000 à 10 000 poids lourds
  • 65 à 135 navires
  • 250 rames de trains

Auxquelles il faut ajouter un développement anticipé dans les transports publics (autobus), les flottes de taxis et les véhicules utilitaires. Selon cette trajectoire et ces hypothèses optimistes, l’hydrogène alimenterait en 2050 18% du parc de véhicules en France et contribuerait ainsi à réduire les émissions de CO2 de 55 millions de tonnes, soit près d’un tiers de la réduction nécessaire dans le scénario de référence du Gouvernement pour atteindre la neutralité carbone à cette horizon.

En conclusion, l’avenir du véhicule à hydrogène continue de susciter des interrogations : chimère pour les uns, surtout pour les voitures particulières, indispensable à un mix énergétique décarboné pour les autres. Les avantages qu’il présente en termes de bénéfices environnementaux tout comme les services rendus pour optimiser l’utilisation d’énergies renouvelables et apporter de la flexibilité aux utilisateurs en termes d’autonomie et de temps de charge justifient les investissements massifs publics et privés en France et en Europe, avec l’objectif de positionner la France comme un leader européen de l’hydrogène renouvelable et bas carbone. En intégrant le potentiel d’amélioration des technologies de production et d’utilisation, la mobilité hydrogène apparaît ainsi comme une solution durable techniquement et économiquement à la décarbonation des transports et à la souveraineté énergétique. Même si la voiture à hydrogène pour tous n’est pas pour demain, l’hydrogène apparaît comme un substitut crédible aux énergies fossiles en tant que source d’énergie de la mobilité longue distance, que gaz industriel dans les industries lourdes et surtout que vecteur énergétique pour optimiser l’usage des énergies renouvelables et le fonctionnement du système électrique et gazier. Suffisamment pour justifier l’intérêt récent qu’on lui porte et l’optimisme des scénarios abordés dans ce dossier concernant une source d’énergie connue et étudiée depuis plus de deux siècles.

Article proposé par le Groupe Crédit Agricole