Si le second événement est de nature à structurer/altérer significativement les grandes lignes d’un scénario, le premier est moins susceptible d’abîmer la ʺcolonne vertébraleʺ d’un scénario mondial trimestriel.
Les tendances déjà esquissées se sont donc effectivement prolongées sans bouleversements
Dans la zone euro, une accélération de la croissance soutenue par la consommation privée reste valide. Les craquements apparus aux États-Unis ne semblent pas de nature à faire plonger la croissance qui pourrait, de nouveau, se révéler résistante. Résistante comme l’est l’inflation en cette fin de parcours désinflationniste.
Aux États-Unis, la ʺrésilienceʺ qui a caractérisé l’économie en 2023 s’est en effet largement maintenue début 2024. Couplée au dynamisme du marché du travail, la moindre sensibilité à court terme aux taux d’intérêt (assainissement des bilans, coût d’endettement figé à un niveau durablement bas) a permis à la croissance de mieux absorber un resserrement monétaire qui ressort comme le plus agressif depuis plusieurs décennies.
Si l’impact dépressif de la politique monétaire a été bien moins violent qu’il n’était redouté, il n’en a pas pour autant disparu : ses effets se déploient dans le temps. Hausse de la dette des entreprises à refinancer à des taux plus élevés en 2024 et 2025, remontée progressive du taux hypothécaire effectif, croissance des impayés sur d’autres types de dettes (cartes de crédit, crédit automobile…), évaporation de l’épargne excédentaire, notamment celle des ménages modestes, taux d’épargne de retour sur des niveaux très faibles : tels sont les premiers ʺcraquementsʺ qui conduisent à toujours inscrire une récession ʺdouceʺ à la charnière des années 2024-2025.
Après 2,5% en 2023, notre scénario table donc sur une croissance de 2,0% en 2024 et de seulement 0,4% en 2025 : une croissance en repli assortie d’un scénario alternatif dans lequel l’économie ferait preuve d’une résistance de nouveau surprenante. En ligne avec un ralentissement ʺen douceurʺ assorti d’un risque haussier sur la croissance, le recul de l’inflation devrait se poursuivre : il emprunterait une trajectoire graduelle et irrégulière, laissant l’inflation supérieure à l’objectif jusqu’à la fin de l’année 2025.
Dans la zone euro, si les élections européennes ont confirmé les grands équilibres de la représentation parlementaire européenne, l’incertitude liée au scrutin en France introduit un risque baissier. Dessiné et chiffré à ʺpolitique inchangéeʺ, avant la dissolution de l’Assemblée nationale, notre scénario central n’intègre pas ce risque et conserve son hypothèse-clé : le principe d’une accélération de la croissance tirée par la consommation privée est maintenu, malgré la prudence encore affichée par les consommateurs et un processus désinflationniste qui s’annonce ʺcahoteuxʺ en 2024.
Le repli de l’inflation, dont les bienfaits sont déjà visibles, est désormais un peu moins aisé et manifeste : l’inflation persiste en raison, surtout, de l’inertie de l’inflation dans les services, témoin des pressions retardées sur les coûts salariaux, liées à la récupération plus tardive des pertes passées de pouvoir d’achat dans des négociations salariales. Enfin, si la consommation constitue le premier moteur de la reprise, celle-ci pourrait être accompagnée d’une demande extérieure un peu plus soutenue permettant au PIB de la zone euro de progresser de 0,8% en 2024 et de 1,5% en 2025.
« En termes de politique monétaire, notre scénario n’a jamais supposé une baisse précoce et massive des taux directeurs américains.
Au ʺpivotʺ espéré par les marchés, il a de longue date privilégié le ʺplateauʺ. Plateau qu’il s’agit désormais de prolonger pour retenir un assouplissement plus tardif.
On peut certes espérer ʺvivement que soit levée l’hypothèque américaineʺ, surtout pour les pays émergents ; mais les chiffres d’inflation signalant sa convergence seulement lente vers la cible, la résistance de la croissance, la bonne tenue de l’emploi malgré des signes récents de faiblesse, invitent à la prudence. »
La Fed aura besoin d’un peu plus de temps afin d’être convaincue que l’inflation se dirige indiscutablement vers 2% ; besoin d’un peu plus de temps avant de procéder à une première baisse des taux directeurs. Celle-ci pourrait intervenir en septembre et serait suivie d’une autre baisse en décembre : la baisse cumulée serait toujours de 50 points de base en 2024. En 2025, l’assouplissement pourrait être plus agressif, totalisant 150 points de base au cours des trois premiers trimestres : une telle prévision repose cependant sur un scénario économique relativement pessimiste. Si l’économie et le marché du travail résistent mieux que prévu, la Fed peut adopter un rythme de baisse plus graduel.
Le statu quo américain n’a pas empêché la BCE d’entamer son assouplissement monétaire qui se poursuivra, sauf en cas de pressions fortement baissières sur l’euro ou de reprise nettement plus dynamique et, surtout, plus inflationniste que prévu.
L’inflation, totale mais aussi sous-jacente, devrait converger vers 2% au cours de la seconde moitié de 2025 et autoriser la BCE à prolonger le ʺdesserrementʺ monétaire engagé en juin (baisse de ses taux de 25 points de base). Notre scénario retient un assouplissement graduel et continu : la BCE baisserait son taux de dépôt de 25 points de base chaque trimestre jusqu’en septembre 2025 pour le ramener à 2,50%, notre estimation du taux neutre.
Quant aux taux d’intérêt, ils devraient subir des pressions haussières modérées
En effet, le thème de l’assouplissement monétaire flotte dans l’air depuis longtemps. Qu’ils soient entamés ou qu’ils se profilent (tout en s’éloignant, comme aux États-Unis…), les assouplissements ne sont ainsi pas une assurance de baisse des taux d’intérêt. Plusieurs facteurs, dont le risque rampant d’inflation et l’augmentation possible du taux neutre, plaident en faveur d’un maintien, voire d’une hausse modeste.
Aux États-Unis, nos prévisions de taux ont été revues en légère hausse sur l’ensemble de la courbe. Pour le taux souverain à dix ans, nous tablons à présent sur 4,30% à la fin de 2024, puis 4,05% à la fin de 2025.
La révision à la hausse du taux à long terme signalée dans les dots plots mérite d’être notée : resté bloqué à 2,50% entre 2019 et 2023, ce taux a été relevé pour le deuxième FOMC consécutif, de 2,5625% en mars à 2,75%. Cette révision, reflète la possible hausse du taux neutre, susceptible d’être liée à des facteurs tels que la ʺdémondialisationʺ et le ralentissement de la demande de titres du Trésor par les banques centrales mondiales, les fonds souverains et les institutions financières nationales.
Dans la zone euro, la BCE a entamé un mouvement de baisse de ses taux directeurs qui devrait se poursuivre. Or, les marchés anticipent pleinement ce cycle d’assouplissement monétaire et tablent sur un repli du taux de dépôt vers 2,50%. Dans un contexte de relatif optimisme sur la croissance européenne, de déficits publics encore élevés (une procédure pour déficit excessif concerne la Belgique, la France et l’Italie : ces pays doivent présenter un plan de réduction des déficits d’ici septembre), les rendements souverains européens ont peu de chance de baisser surtout si la Fed retarde le début de son propre cycle d’assouplissement. Notre scénario retient un rendement allemand à dix ans proche de 2,65% fin 2024.
Dans un contexte de spreads serrés, l’ajout d’une prime de risque politique (sans risque de redénomination) s’est traduit par un écartement du spread français par rapport au Bund jusqu’à 80 points de base (pb). Cet écart OAT-Bund risque d’osciller au gré des incertitudes politiques qui ne seront pas nécessairement levées à l’issue du scrutin en cas d’absence de majorité claire.
Enfin, les paramètres américains, résistance monétaire de la Fed et possible victoire de Trump à l’élection présidentielle, sont globalement favorables au dollar
Viennent ensuite des histoires singulières telles que le risque politique pour la zone euro, la détérioration de la situation budgétaire en Amérique latine ou, a contrario, le portage favorable pour certaines devises asiatiques ou européennes. Notre scénario retient une dépréciation modeste de l’euro à 1,05 dollar fin 2024.
Catherine LEBOUGRE, Economiste - Direction des études économiques Groupe Crédit Agricole
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